« Notre musée », Mohamed El Khatib expose l’intime

Sas de décompression

Notre musée reprend peu ou prou le dispositif de La vie des objets. Nous étions en 2021, au Maif Social Club, et il exposait, en compagnie de Yohanne Lamoulère, des objets qui n’avaient en apparence rien de précieux. C’étaient des objets d’exil, la petite chose qui, si elle n’est pas chargée de l’histoire de celui qui la sait, ne vaut rien.
Au Grand Palais, il présente un travail qu’il a fait à Avignon. Il a « imaginé une exposition sentimentale en réunissant des commissaires précaires de la Fondation pour le Logement des Défavorisés et des membres du musée ». Mais entrer au musée n’est pas chose aisée – il faut s’autoriser – ah, le plafond de verre, Bourdieu, tout ça, tout ça… Alors, il a imaginé un sas de décompression, un truc qui permet de se sentir à l’aise dans cet espace dont on n’a pas forcément les codes.
Et le sas se trouve être les objets de la chambre d’Yvette, sa grand-mère, autant dire un autel au RC Lens : du rouge et or partout, en format nounours ou boule à neige, auxquels s’ajoute un nombre incalculable de vierges, croix et autres petits Maître Yoda. Le sas est tout petit et il tourbillonne tant il y a d’objets, il est impossible de tout voir.

« Si tu l’écoutes, tu vas pleurer »

Ce sas fonctionne, car il rompt totalement avec le reste de cette exposition toute blanche, surplombée de gros ballons gris.
Mais pour être honnête, il faut dire que le premier espace est, lui aussi, un sas. Mohamed El Khatib y confronte son objet à une œuvre. L’objet, c’est le radiocassette, le dernier objet qui restait dans la maison de sa mère à Tanger après sa mort : « à l’intérieur, il y avait une K7 d’Oum Kalthoum ». On respire, on sait, on comprend, on souffle, on avance.
L’œuvre d’art est celle, mythique, de Žilvinas Kempinas – Oasis, 2009. C’est une œuvre en trois dimensions, une installation avec du mouvement. Le souffle d’un ventilateur fixé au plafond anime une bande magnétique au-dessus d’un cercle de métal blanc, le cercle semble danser, comme on imagine la maman de Mohamed sur les litanies de la diva égyptienne.

Des vierges et Nan Goldin

Se trouvent mis face à face des objets personnels scénographiés avec génie (on adore les vierges en stuc classées de la plus petite à la plus grande) et des photos ou des œuvres somptueuses, telle cette photo de Nan Goldin, Skeleton Behind Bars, prise à Rome en 2001, où un vieux cadavre apparaît si vivant dans une lumière aussi or que celle du RC Lens.
Plus loin, on se trouve désarmé face à un minuscule objet qui révèle un drame immense. Chaque objet est présenté comme dans un musée, donc on se comporte comme dans un musée – c’est important à saisir. Cela veut dire qu’on s’approche, qu’on regarde l’œuvre exposée, ici un ouvre-boîte pour gaucher, et puis on lit. On découvre que cet ouvre-boîte a été acheté par erreur par un enfant de dix ans, un soir où ses parents, ayant besoin urgemment d’un ouvre-boîte, l’envoient au supermarché du coin. L’enfant se fait disputer.
Rien de très exceptionnel, mais notre lecture nous entraîne ailleurs. L’enfant, devenu adulte, meurt à quarante ans dans un accident de voiture. Les parents n’ont jamais pu jeter cet ouvre-boîte pour gaucher. On apprend enfin que l’enfant était gaucher, et que les parents ne le savaient pas encore.
On respire, on sait, on comprend, on souffle, on avance.

De salles en salles, vous croiserez beaucoup de photos de Nan Goldin mais aussi des sabots de Basquiat. Cela rend des cols de chemises ou des patins à glace ultra sensibles.
Notre musée expose les petits riens qui cachent de grandes histoires intimes.
Notre musée est un espace circonscrit dans le Grand Palais. En sortant, vous trouverez d’autres témoignages, d’autres objets qui sont l’écrin de cette programmation qui mixe des spectacles, une friterie, et même une Joconde bien gardée !