Mondes sensibles, une histoire sensorielle de l’œuvre d’art totale : un ouvrage de référence

La parole des artistes invités à créer in situ

Des entretiens avec les trois artistes qui ont réalisé les œuvres de l’exposition permettent de découvrir leurs intentions. Tiphaine Calmettes a souhaité créer un espace d’accueil, de repos avec des sculptures sensorielles. Pour elle, chaque matériau et élément possède une forme, une couleur, une texture et un goût. Florian Mermin, qui se considère comme conteur et magicien a créé un récit onirique autour de la rose. Son travail artistique relève de l’archive et de la mémoire. Camille Correas a proposé une œuvre collaborative liée à son engagement féministe, une atmosphère qui renvoie au monde subaquatique de la rivière.

L’œuvre d’art totale et son histoire

L’enjeu de l’exposition rappelé dans l’avant-propos de cet ouvrage consistait à valoriser les odeurs telles des données scientifiques et à proposer une expérience artistique qui passe par le corps. Dans son texte introductif Oliver Quiquempois, directeur des musées de Grasse revient sur la présence de l’olfactif dans l’ensemble des arts. Pour les entrées solennelles des souverains, les artistes, explique-t-il, étaient chargés de créer des ouvrages décoratifs éphémères. Progressivement, l’encens fait son apparition dans les cérémonies funèbres. Les arts de la performance ont eux aussi pris place dans les cérémonies joyeuses.

Erika Wicky dans son texte « Les concepts de parfums ou les prémisses de l’art olfactif » déroule une histoire des liens entre l’olfaction et les autres arts. La synesthésie est d’abord présente dans la littérature nous dit-elle. Les concerts olfactifs, qui furent d’abord décrits, introduisaient une remise en cause de la hiérarchie entre les sens et entre les arts. L’un des premiers fut Le cantique des cantiques, mis en scène par Ronsard en 1931.

Denise Wendel-Poray s’est intéressée dans son essai, à la présence du parfum dans l’œuvre d’art totale du début du XXe siècle jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Au travers d’exemples significatifs, l’écrivaine montre que l’odeur a pu être une forme d’accessoire théâtral, qu’elle a fait partie de l’expérience multisensorielle et synesthésique et qu’elle a pu également être une composante fondamentale de l’œuvre.

Sandra Barré poursuit cette histoire en se consacrant à l’art total des années 1960 jusqu’à nos jours. Pour prétendre à des analyses sensorielles des œuvres, il serait selon elle, nécessaire de convoquer le point de vue de celui qui en fait l’expérience. Elle continue son approche critique en définissant l’œuvre totale comme polysensorielle, suscitant une forme de lien social.

Reconstituer l’œuvre d’art totale à partir d’archives

Plus loin dans l’ouvrage, la curatrice analyse les œuvres d’art total qu’elle a exposé. Les premières sont les Métachories de Valentine de Saint-Point et les études pour Le Mystère d’Alexandre Scriabine. Ensuite étaient présentées des œuvres de la seconde partie du XXe siècle. Celle d’Hermann Nitsch où le spectateur pouvait vivre l’œuvre à la fois par l’odorat et par le toucher. Il vapore de Bill Viola invitait à partager une atmosphère commune. Avec Plight de Joseph Beuys, le corps du spectateur était mobilisé, mis en situation d’écoute face à eux-mêmes et ils pouvaient ainsi s’apercevoir des bruits de leur propre corps. Les masques multisensoriels de Lygia Clark ont chacun une odeur et une couleur. Il s’agit de dispositif modifiant la vue et un système audio particulier. Meat Joy, performance de Carolee Schneemann a l’apparence d’un rituel, d’une danse chorégraphiée par et avec des matières naturelles. Jean-Pierre Bertrand considérait l’exposition comme une expérience totalisante. Des notices de ces œuvres complètent son propos.

L’historienne de l’art et curatrice revendique également le fait que l’odeur fait partie intégrante de l’œuvre et pourrait être restaurée. De fait, elle a proposé à quatre parfumeurs du studio Flair de reconstituer quatre œuvres de l’exposition. Des souvenirs olfactifs de plusieurs personnes ayant vécu ces œuvres ont été recoupées pour donner à ressentir l’expérience olfactive.

Ainsi, ce livre constitue une référence pour aborder la présence des odeurs dans l’histoire de l’art et en particulier la manière dont les artistes s’en emparent pour créer des œuvres qui convoquent l’olfactif comme sens primordial. Il est également richement illustré par un ensemble de photographies et de documents témoignant des présences des odeurs dans les œuvres d’art. En faisant se rencontrer art contemporain et monde de la parfumerie, Sandra Barré nous amène à comprendre quels types de sensations pouvaient être éprouvées au contact d’une œuvre olfactive.