Migrations du vivant à Bordeaux

D’une rive à l’autre de la Garonne, le rapport à la migration est proposé dans les deux institutions, l’une consacrée aux plantes (le Jardin botanique), l’autre aux animaux et aux humains (le Muséum). Les points de vue s’y mêlent, côté scientifique, mais aussi artistique, les expositions étant complétées par des regards d’artistes invités. La migration est aussi symbolique puisqu’on peut aller d’une rive à l’autre, en petit train touristique, à pied, en vélo ou en tram.

Tout d’abord, qu’entend-on par migration ? Pour le Jardin botanique, c’est un « phénomène répandu dans l’ensemble du monde vivant. Tous les organismes se déplacent à un moment de leur cycle de vie, de manière autonome ou transportée par un fluide ou par d’autres organismes ». Si on peut parler aujourd’hui de diversité, c’est bien grâce aux déplacements, à l’évolution.

Cette double exposition, un peu trop didactique à nos yeux, visitée au pas de course, fournit beaucoup d’informations. On en garde quelques-unes en mémoire, comme le fait que les plantes sont de grandes voyageuses malgré leur ancrage au sol. Se déplacer est en effet essentiel à la survie et à la diversification des espèces végétales.

Sous les chaussures, la collecte

Au Jardin, on trouve des graines, des fruits, des fossiles, des plantes et des herbiers qui traversent les siècles. Ce qui nous intéresse plutôt, c’est un autre concret. La serre du jardin accueille « Les Leçons de chausses » de l’artiste nantais Gérard Hauray qui a eu une drôle d’idée il y a quelques années : il a récupéré ce qu’il y avait sous les semelles de voyageurs descendant à la gare de Nantes ! Il a gratté ce qu’il y avait en-dessous et l’a mis en culture. On peut y voir le résultat des collectes récentes (pas grand-chose) ou datant d’il y a plusieurs années (comme de la mousse ou des algues). Ces micro-paysages, produits à partir de spores et de graines collectées sous les semelles de passants, sont amenés à s’enrichir de nouvelles collectes, liées à la participation du public et d’écoles du quartier.

Ce qui nous parle aussi, c’est la localisation du Jardin qui a rouvert en 2019 après 10 ans de fermeture. Ce n’est pas le quartier le plus prisé de Bordeaux qui attire traditionnellement les touristes. Par contre, le quartier, situé rive droite, accessible en tram, est en pleine évolution, des commerces ouvrent, des lieux alternatifs aussi. Cela vaudrait la peine d’y revenir dans quelque temps. Peut-être que davantage de Bordelais y auront migré et tenté de nouvelles choses, tout aussi attractives que dans le centre historique.

En reprenant le tram, on arrive au Muséum, côté rive gauche. À l’arrivée, 10 questions surgissent : quelles espèces migrent ? A quel rythme ? Qui migrent ? Comment ? Pourquoi ? Vers où ? Avec quelles conséquences ? Avec quels freins et quelles solutions ? Comment le sait-on ? Vaste programme !

À nouveau, on attrape des infos ici et là. La vigne par exemple a mis 4000 ans pour arriver, notamment du Proche-Orient, en Europe. Sauvage, elle a été domestiquée et transportée par des agriculteurs vers l’Europe et introduite dans de nombreuses régions du monde. Certaines espèces, par contre, ne migrent jamais comme la lavande. Elle ne s’étend pas sur les autres champs à côté, et reste tranquille sur place.

Objets témoins

Après avoir traversé une galerie d’animaux empaillés, où se trouve également une représentation de l’homme, on découvre une petite collection d’objets témoins ayant accompagné la migration d’êtres humains, exportés dans une valise, un sac à dos, une poche, .… C’est ce qui nous touche le plus finalement dans cette double exposition. Ces objets, présentés dans une vitrine, nous parlent, allez savoir pourquoi. Ils reflètent des souvenirs d’un pays, de l’enfance ou de la famille, et sont les témoins d’une migration seule ou en famille, subie ou choisie. On y trouve par exemple un doudou venu d’Ukraine, un pot de miel portugais, un plumier d’Ispahan. Les prêteurs d’objets racontent – trop – brièvement l’histoire de l’objet et cela contribue à rendre la migration concrète et émouvante. Certains objets appartiennent aux prêteurs, d’autres leur ont été transmis par un membre de leur famille. Ils racontent une histoire, une migration, et renvoient à des objets qui ont nourri notre propre univers, transmis parfois de génération en génération.

Pas loin des objets, se trouve une borne interactive, « Tous d’ailleurs », traduisant les parcours des visiteurs et de leur familles. Elle permet de matérialiser les déplacements et de relier les visiteurs les uns aux autres sur une carte.

L’exposition se termine par un nouveau regard d’artiste, celui de Xavier Bou, un photographe catalan qui, avec « Les Ornithographies », présente 15 grandes images et deux vidéos de trajectoires de vols d’oiseaux photographiés en rafale. Entre oiseaux et images, le résultat, énigmatique, décompose chronologiquement le mouvement de l’oiseau et donne un dernier aperçu à la migration, collective pour le coup.

Katia Bayer