Max Jacob, le cubisme fantasque, au Musée d’Art moderne de Céret

Céret, pays de cocagne

Une des origines du mot cocagne étant occitane – dérivé de cocanha ou tout bonnement de coque, au sens pâtissier du terme, non en celui, psychotropique, désignant certaines des substances dont devinrent dépendants Max Jacob et son ami Jean Cocteau -, il peut s’appliquer sans problème à la charmante cité catalane, lieu de délassement et de villégiature de nombre d’artistes d’avant-garde à partir des années 1910, «Mecque du cubisme». Son musée d’art moderne, initié par Manuel Hugué, dit Manolo, Déodat de Séverac et Frank Burty Haviland, créé par ce dernier et Pierre Brune en 1950, transformé plusieurs fois, rouvert après travaux en mars 2022, y présente une exposition Max Jacob imaginée par son directeur, Jean-Roch Dumont de Saint Priest, réalisée par celui-ci en collaboration avec Gwendoline Corthier-Hardoin. Soit plus de 120 pièces, certaines inédites, de Max Jacob et ses collègues peintres et sculpteurs – Picasso, Manolo, Metzinger, Marie Laurencin, Juan Gris, Cocteau, Marie Vassilieff, Alice Alicka, Serge Férat, la baronne d’Oettingen – en tous supports et formats, historiant un niveau de l’établissement.

Picasso, Braque, Herbin, Masson, Soutine, Loutreuil, Dufy ont représenté le paysage urbain de Céret et le panorama dominé par le mont Canigou. Max Jacob, «personnalité kaléidoscopique», pour reprendre l’expression de Jean-Roch Dumont de Saint Priest, figure marquante de l’avant-garde poétique et plastique du siècle passé, y est venu avec Picasso.  Jacob se caractérisait, selon son collègue vers-libriste et ami Guillaume Apollinaire, par sa «fantaisie somptueuse». Cette fantaisie alliée à son caractère imprévisible explique le titre de l’exhibition roussillonnaise : Max Jacob, le cubisme fantasque. Nombre de ses collègues peintres sont immortalisés par une série de photos prises par Cocteau avec l’appareil Kodak de sa mère, en 1916, à Paris, autour du café La Rotonde. Une caricature de Marie Vassilieff montre cet aréopage attablé pour célébrer le Banquet Braque. Les plus proches de ses fréquentations à Céret sont photographiés à la terrasse du Café Delcros.

Poésie cubiste

Max Jacob nous est révélé par cette exposition sous toutes ses formes d’expression, comme poète, bien sûr, comme critique d’art, comme épistolier, comme dessinateur d’une grande finesse, comme coloriste plutôt doué et comme novateur dans chacun de ces domaines. Les commissaires de l’exposition estiment qu’il a traduit le cubisme pictural en littérature : «À Céret, en 1913, aux côtés de Picasso et d’Eva Gouel, l’artiste réalise un exceptionnel ensemble de travaux qui reflètent ses expérimentations». Jacob compare lui-même poésie et cubisme : «Le cubisme en peinture est l’art de travailler le tableau par lui-même en dehors de ce qu’il représente (…). Le cubisme littéraire (…) se sert seulement de la réalité comme d’un moyen et non comme d’une fin». Cubisme et poésie ont donné le roman de Max Jacob, Saint Matorel (1911) illustré par Picasso, sans doute le premier livre d’art cubiste. N’empêche que Max Jacob nie l’évidence quand il écrit ironiquement à René Rimbert, en 1922, n’avoir jamais «fait de cubisme»!

Un magnifique portrait du poète, peint sur bois par Marie Laurencin en 1908, inaugure le parcours. Cette œuvre lumineuse et, d’ailleurs, bellement éclairée, trouve son équivalent dans une des dernières salles, le tableau éclatant de Jean Metzinger, autre Portrait de Max Jacob datant de 1913. Entre les deux, le visiteur se délectera avec des pièces produites ou reproduites par différents moyens – y inclus la photo, comme le tirage agrandi de Siteglitz du dessin de Picabia, Max Jacob, portrait pour rire (1915) et le film, comme le court métrage parodique, amusant et inventif, Rigadin, peintre cubiste (1912) de Georges Monca, mis à disposition par la fondation Pathé. D’autres œuvres, Nature morte au pichet sur fond de chapeau de Max Jacob (1906) de Picasso, la Nature morte Mozart (1912) de Max Jacob, sa Corrida (1913) et Medrano: acrobate et danseuse (1909), aquarelle abstraite de Jacob digne de Kandinsky, La Sardane de la paix (1953) de Picasso, le très subtil Portrait de Max Jacob (1915) dessiné au crayon par Modigliani justifient, s’il le fallait, le voyage à Céret.