La galerie Romero Paprocki accueille le feu et la lumière de Marion Flament avec son exposition Combler le jour, pour se réchauffer l’âme en ce début d’hiver.
L’exposition de Marion Flament commence dès la cour du Marais parisien dans laquelle se cache la galerie Romero Paprocki. Les verrières recouvertes de vitrophanies laissant à peine deviner ce qui se trame à l’intérieur préfigurent des thèmes du travail de l’artiste tels que la lumière, le vitrail ou la transparence. En cette période hivernale où la lumière se fait rare, cela nous donne la possibilité d’approcher l’exposition de deux façons : de jour, l’intérieur occulté, ou de nuit, une lumière chaude nous appelant à entrer.
L’œuvre de Marion Flament est à la fois technique et sensible. Elle qui travaille souvent sur des installations in situ en lien avec l’architecture du bâtiment a voulu ici revenir à une échelle plus intime, personnelle. Elle cherche les liens entre l’architecture et ses habitants, les histoires qui se cachent dans les murs des maisons, les souvenirs qui habitent les greniers. Dans ses grands chapelets suspendus au plafond, les objets de céramique liés à ses souvenirs s’égrènent, comme une accumulation permettant de célébrer un rituel de préservation ou de disparition de la mémoire. Car tous les souvenirs de famille gardés au grenier ne sont pas forcément bons, même si tous sont voués à s’effacer sous la poussière.
Avec ses fantômes de verre, Marion Flament exprime à la fois son attrait pour la technique du verre et pour la symbolique des objets vestiges des habitations. Sur des clous, des clés ou des anneaux d’amarrage de fer forgé anciens, dénichés dans les brocantes du sud de la France, elle fait couler du verre en fusion, comme si l’âme de la maison s’accrochait encore à l’objet, transparente, liquide, fragile. L’artiste précise, avec une certaine fascination, que le fer forgé est le seul matériau capable de supporter les 1200° du verre en fusion, un matériau qui ne peut se travailler seul et reste imprévisible.
On retrouve dans toute l’exposition des motifs récurrents, notamment celui du clou de charpente. En fer forgé, en céramique ou en verre, il s’accroche au mur ou disparait dans les chapelets, avec pour point commun entre ses différentes matières un façonnage par le feu. Le clou est pour l’artiste un symbole fort qu’elle relie à une tradition mésopotamienne de planter dans le premier mur construit de la maison un clou en terre cuite gravé de prières de protection. Lui qui maintient l’ossature de bois de la maison permet également d’y ancrer la bonne fortune.
La troisième salle de l’exposition, plongée dans la pénombre, est un espace hors du temps où les chapelets ont perdu leur matérialité comme des souvenirs qui s’estompent, et les vitraux se déconstruisent, s’articulant comme des mobiles. Le verre est plus ou moins transparent et les reflets et les ombres qu’il projette sur les murs à la lumière des bougies et d’une projection qui rappelle l’éblouissement des lumières d’été sont hypnotisants. Et en regardant ces formes qui semblent s’être vidées de leur matière avec la disparition du souvenir qu’elles portaient, on se demande s’il serait possible d’y déposer l’un des nôtres et ainsi de les réactiver.
Cette exposition est une grande et belle déclaration d’amour de Marion Flament pour la force qui est à la base de tout son travail : le feu. Elle s’en sert pour façonner le verre et la céramique ou utilise la flamme de la bougie pour peindre à la suie qu’elle cristallise entre deux plaques de verre. Sa gamme colorée est chaude, et même ce bleu qu’elle a commencé à utiliser se retrouve au cœur de la flamme. Son feu est à la fois créateur et difficile à maîtriser, lui qui pourrait tout détruire à la moindre erreur. Mais il est également la source de lumière qui amène les œuvres à la vie d’un souffle insaisissable, qui fait vibrer les couleurs du vitrail de l’œil de bœuf qui éclaire le grenier de l’artiste. Comment ne pas être attiré par un élément aussi volatil, violent et essentiel ?
Marion Flament expose ici une œuvre sensible et d’une grande cohérence, où l’on sent une recherche constante sur la matière, une danse de l’artiste avec le feu et la lumière. Et peut-être les plus courageux iront interroger les trésors enfouis de leurs greniers de famille, à la lumière d’une bougie.
Combler le jour – Marion Flament
Du 25 novembre 2023 au 11 janvier 2024
Galerie Romero Paprocki – 8 rue Saint Claude, Paris 3
Visuels : Combler le jour © Florian Bouziges