L’œuvre collective de la MECA

Cette année, les FRAC fêtent leurs 40 ans en proposant un ensemble de projets régionaux, restant ainsi fidèles à leur mission de partage de l’art contemporain dans toute la France, s’ancrant chacun localement dans leur territoire. A Bordeaux, le Frac Nouvelle-Aquitaine a imaginé une exposition anniversaire dont le commissariat a été confié à Emilie Parendeau, et un livre regroupant les témoignages de 40 personnes ayant participé de près ou de loin à l’aventure du Frac. Après l’album dessiné  le FRAC, toute une histoire réalisé en 2019 pour le déménagement à la MECA, le livre, intitulé Frac MECA 40 ans – 40 voix témoignent, dresse un portrait dessiné et écrit d’une institution arrivée à l’âge de la maturité.

Le Frac MECA a donc invité Emilie Parendeau, artiste dont le travail s’appuie sur l’activation d’œuvres protocolaires d’autres artistes, à nous faire part de sa réflexion sur la collection. Parmi les 1500 œuvres du Frac MECA, peu étant strictement de cette nature, la commissaire a choisi d’élargir son propos à toutes celles qui nécessitent un travail de recomposition entre les réserves et l’exposition. Par ce biais, elle nous incite ainsi à plonger dans les processus de création à la fois de l’œuvre d’art et de l’exposition, où chacun suit un programme défini par un autre. Elle a également souhaité rendre hommage à Claude Rutault, avec qui elle a collaboré pendant 15 ans et disparu en 2022 en réactivant plusieurs de ses protocoles.

Certaines œuvres prennent donc la forme de programmes, protocoles ou partitions déterminés par les artistes. Par exemple, pour la réalisation de son Bouquet perpétuel, Joachim Mogarra définit l’œuvre comme « un bouquet de fleurs disposées dans un vase, éventuellement posé sur un socle » qui devra être entretenu tous les jours par l’institution. L’artiste ne réalise pas lui-même l’œuvre physique, il délègue l’acte à une tierce personne qui aura toute latitude d’interpréter les instructions selon ses envies. L’œuvre peut donc évoluer dans le temps, suivre les fluctuations des époques et refléter les sensibilités de ceux qui prennent en charge sa réalisation matérielle. On peut donc considérer que le résultat de l’activation d’un protocole donne une œuvre collective où celui qui l’a pensée, celui qui l’a interprétée et celui qui l’a réalisée ont participé au processus de création de l’œuvre.

Si l’on tire le fil de ce raisonnement, on pourrait également inclure les conservateurs, les équipes techniques ou de régie dans ce collectif artistique. Les trois projets créés en collaboration avec le Centre Culturel Suisse On Tour par Florence Jung, Delphine Reist et Davide-Christelle Sanvee illustrent à leur manière ces idées, dissimulant dans l’exposition des traces de son montage, soulignant l’architecture particulière du Frac et invitant le public à se rendre dans certaines boutiques de Bordeaux pour activer des scénarios de l’artiste. Avec ici une référence à l’idée de Marcel Duchamp que le regardeur fait l’œuvre, on inclut également le public dans le groupe créatif. Par sa présence dans l’exposition, son regard et son interprétation, il contribue à créer une œuvre qui en bout de chaîne lui sera toute personnelle.

Emilie Parendeau interroge avec l’exposition Parler avec elles et ses œuvres fluctuantes et vivantes les notions d’auteur, d’œuvre unique et d’authenticité. Elle met également en lumière toutes les équipes qui œuvrent dans les coulisses pour faire naître une exposition, soulignant le temps, le travail et les personnes nécessaires pour mettre en place des connections entre les œuvres, entre le lieu et les œuvres, entre les œuvres et le public. Avec un parcours en forme de promenade entre des œuvres souvent monumentales, animé de couleurs franches et aux points de vue à trouver multiples et ludiques, cette exposition ne serait-elle pas elle aussi une œuvre en soi ?