L’illusion à l’œuvre : l’histoire fascinante du trompe-l’œil

L’Héritage du Musée Marmottan Monet

Le Musée Marmottan Monet est un lieu particulièrement adéquat pour accueillir de telles œuvres puisque Jules et Paul Marmottan léguèrent à l’Académie des beaux-arts sept œuvres illusionnistes, dont trois sont signées par des maîtres en la matière tels que Cornelis Norbertus Gijsbrechts, Laurent Dabos et Louis Léopold Boilly, qui aurait été le premier à utiliser le terme « trompe-l’œil » en légende d’une œuvre exposée au Salon de 1800. 

Genèse et âge d’or du trompe-l’œil : le XVIIe siècle

Si la Renaissance pose les bases de l’illusion picturale, le XVIIe siècle en fait un art à part entière. Aux Pays-Bas, les peintres s’approprient les codes de la perspective et de la lumière pour tromper l’œil du spectateur. Cornelis Norbertus Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service des rois Frédéric III puis Christian V, amateur de cabinets de curiosité, conçoit des trompe-l’œil si vertigineux que ce genre « mineur » acquiert une légitimité sans précédent. 

Du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

Entre mise en scène aristocratique et esprit ludique, le trompe-l’œil se diversifie. Les trophées de chasse peints par Jean-Baptiste Oudry immortalisent le faste royal, tandis que le quodlibet, (forme latine quod libet), qui peut se traduire par « ce qu’il vous plaît », joue avec la curiosité du spectateur grâce à un désordre savamment organisé. Ces compositions, où le moindre détail est une prouesse technique, oscillent entre pensée moralisatrice sur la vanité du savoir et méditation sur le temps qui passe et sur la précarité des objets et de la vie. 

Épanouissement au XVIIIe siècle : peinture illusionniste

Certains excellent artistes dans l’art de la grisaille, imitant avec une extrême précision la sculpture ou la gravure. D’autres, comme Louis Léopold Boilly, mettent à profit leur maîtrise de cette technique pour faire ressortir les traits de leurs modèles comme ceux de Madame Chenard. Dans les arts décoratifs, la céramique en trompe-l’œil envahit les tables, transformant les repas en véritables jeux d’optique.

Le XIXe siècle et le renouveau de l’école du trompe-l’œil aux États-Unis

Sous la Révolution française, le trompe-l’œil devient un support pictural à visée politique, mais il connaît un renouveau aux États-Unis avec des peintres philadelphiens comme William Harnett. Au siècle suivant, il rencontre John Frederick Peto, avec qui il forme la « seconde « École de Philadelphie ». Ensemble, ils modernisent l’art de l’illusion en intégrant des objets du quotidien dans leurs œuvres.

Les trompe-l’œil contemporains 

Le groupe des peintres de la réalité 

À partir de 1911-1912, Georges Braque et Pablo Picasso interrogent le lien entre la peinture et le réel à travers un nouveau type de représentation, le cubisme. Ainsi, ils mêlent de leur peinture des jeux d’illusion et de matière, comme en témoigne la Nature morte à la chaise cannée de Picasso. Les surréalistes se laissent également séduire par le monde des objets, qui en feront un support onirique. 

Après la Seconde Guerre mondiale, le trompe-l’œil connaît une nouvelle vague d’intérêt, notamment grâce à Jacques Poirier, Pierre Ducordeau et Pierre Gilou, qui fondent le groupe Trompe-l’œil/Réalité en 1960. Ces artistes revisitent alors le trompe-l’œil pour en faire un moyen de contestation face à l’art contemporain, à l’instar de Pierre Ducordeau, qui pastiche les grands maîtres de son époque, à l’image de Lucio Fontana.

Les illusionnistes de la réalité

Aujourd’hui, le trompe-l’œil dépasse les frontières de la toile. Dans les années 1960, l’Arte Povera, dont font partie Michelangelo Pistoletto, Giovanni Anselmo et Giuseppe Penone, conteste notre société de consommation en mettant en avant des matériaux naturels et recyclés. Refusant toute appartenance à un mouvement défini, ils explorent librement diverses pratiques artistiques.

Le trompe-l’œil dans le regard du public 

En vous laissant guider par les œuvres qui vous attirent, tendez l’oreille vers les commentaires fascinés des passants, admirant « la coupure » et « le bord des feuilles », pour en conclure que c’est tout bonnement « incroyable »… Face à La déchirure d’Henri Cadiou (1906-1989), les drôles de dames ne pourront s’empêcher de comparer Mona Lisa avec l’œuvre originale de Leonard De Vinci, trouvant celle d’Henri Cadiou « bien plus jolie que la vraie, n’est-ce pas Jacqueline ? ». Sans se faire attendre, l’autre acquiesça et elles poursuivirent leur chemin, bras dessus, bras dessous.