À l’occasion du Jubilé 2025, l’Académie de France à Rome – Villa Médicis présente cette exposition conçue et coproduite avec le Mucem et l’Ambassade de France, ainsi que le Saint-Siège – Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette. On y découvre une collection magistrale faite d’œuvres appartenant au musée du Vatican, au Museo Ebraico di Roma et au musée du Louvre qui prouve que le dialogue interreligieux se manifeste aussi par la culture.
Pour l’Église catholique, le jubilé est une période spéciale (généralement une année) de grâce, de miséricorde et de renouveau spirituel, où les croyant·e·s sont invité·e·s, pendant cette période, à se tourner vers Dieu pour obtenir le pardon de leurs péchés et renouveler leur engagement de foi. Et en 2025, le calendrier a été augmenté par les célébrations de Nostra Aetate, la bulle qui a achevé le Concile Vatican II et qui, en 1965, a apaisé les liens entre le catholicisme et le judaïsme, acceptant l’idée qu’un dialogue interreligieux était possible dans le respect total de la croyance de l’autre. Vatican II est, en quelque sorte, l’aggiornamento de l’Église. C’est dans ce double contexte que la Villa Médicis accueille donc jusqu’en janvier Lieux saints partagés, une exposition qui montre, en choisissant des thèmes séculiers, comment les trois religions monothéistes, et même, par touches, les polythéistes, ont des points de convergence dans leurs liturgies.
Le parcours pensé par Raphaël Bories, Dionigi Albera et Manoël Pénicaud va du littéral au symbolique le plus abstrait. Nous entrons par les « lieux saints » et nous finirons, six chapitres plus tard, par « l’architecture ». Entre-temps, nous gravirons une « Montagne », flânerons au « Jardin » ou encore nous perdrons dans les illusions d’une « Grotte ». À chaque fois, un texte nous raconte sa vision du thème. Prenons l’exemple de la Montagne. Le cartel nous indique que le mont Sinaï est un point commun entre le judaïsme, le catholicisme et l’islam, mais ajoute des faits moins connus et rappelle que le religieux est politique :
« (…) Le mont Sinaï est un haut lieu dans les trois monothéismes, car c’est là que Dieu serait, pour la première fois, apparu à Moïse sous la forme d’un buisson ardent, puis lui aurait confié les Tables de la Loi. Au VIᵉ siècle, un monastère chrétien ( NDLR, il s’agit du monastère Sainte-Catherine) a été édifié en contrebas, devenant une étape du pèlerinage vers la Terre sainte, mais aussi pour les musulmans se rendant à La Mecque. (…) Le monastère de Mar Mūsa (Saint-Moïse l’Abyssin), accroché à flanc de falaise à plus de 1300 mètres d’altitude, près de Nebek en Syrie, a été restauré à partir des années 1980 par le jésuite italien Paolo Dall’Oglio (1954-?). Romain de naissance, ce prêtre islamophile est devenu un apôtre du dialogue islamo-chrétien et y a créé un lieu d’hospitalité interreligieuse sous le signe d’Abraham (Al-Khol, « l’Ami de Dieu » dans le Coran (NDLR, que les islamologues nomment plutôt al-khalil). Malgré la capture en 2013 du père Dall’Oglio par l’organisation État islamique (ISIS), le monastère est à nouveau visité par des musulmans. (…)». Et il en va ainsi de tous les thèmes choisis.

À la Villa Médicis, en plein cœur de Rome, cette exposition prend une profondeur particulière. La Villa existe pour valoriser les arts dans leur diversité, et force est de constater que tous les médiums sont présentés ici. On pense à la broderie monumentale de Rachid Koraïchi, qui représente la mer et ses tourbillons. Datée de 2021, elle évoque les candidat·e·s à une vie meilleure sans y parvenir, quelle que soit leur religion. Du côté de la sculpture, on adore l’œuvre simple et efficace de l’ancienne résidente de la Villa, Alix Boillot : une sphère toute dorée faite à partir des pièces jetées dans la Fontana di Trevi.
L’exposition va jusqu’aux installations, comme dans « La grotte », où Abdallah Akar nous raconte, en transparence, l’histoire des Sept Dormants d’Éphèse. L’artiste a inscrit sur de grands pans de tissu le début de la sourate coranique de La Caverne. Plus loin, on adore l’idée d’un culte portable, comme une valise, avec tout le nécessaire à la prière disponible. L’idée de Matilde Cassani est de répondre aux besoins des fidèles dans un monde globalisé, où les croyant·e·s voyagent.
Sur les murs, on croise aussi des peintures, dont deux petits Chagall — dont Abraham et les trois anges —, et de la photographie, par exemple Convulsions, ce papier froissé qui donne aux images une allure de terre désertique et escarpée du pionnier du modernisme arabe Hamed Abdalla. Et puis, il y a aussi la vidéo, présente dans l’œuvre qui nous a le plus sidéré : celle de Nira Pereg, Ischamel, qui pose dans la citerne antique, à même le sol, des films montrant le voisinage compliqué entre juifs et musulmans revendiquant le droit de prier sur le caveau des Patriarches. La zone est ultra-gardée par l’armée israélienne, qui escorte les fidèles jusqu’à leur lieu de louange. On entend des appels à la prière des deux côtés, mais dans un absolu non-dialogue.
Cette œuvre est mise à part du reste de l’exposition, dans une autre zone, comme s’il fallait souligner l’idée que le partage des lieux saints n’était pas un geste aisé partout dans le monde.
Alla Villa Medici di Roma, l’esposizione Lieux saints partagés si inserisce nel contesto del Giubileo del 2025 e delle celebrazioni di Nostra Aetate, testo chiave del Concilio Vaticano II che aprì la Chiesa cattolica al dialogo interreligioso. Curata da Raphaël Bories, Dionigi Albera e Manoël Pénicaud, la mostra esplora, attraverso temi simbolici come la montagna, il giardino o la grotta, le convergenze tra le tre religioni monoteiste.
Tra le opere più significative, la broderia di Rachid Koraïchi dedicata al mare, la sfera dorata di Alix Boillot realizzata con le monete della Fontana di Trevi e il video Ischamel di Nira Pereg, che documenta le tensioni tra ebrei e musulmani nel luogo sacro di Hebron.
Un percorso poetico e politico che invita a pensare il sacro come spazio di incontro possibile — anche quando la realtà sembra renderlo impossibile.
Lieux Saints Partagés du 9 octobre 2025 au 19 janvier 2026 à l’Académie de France à Rome –
Villa Médicis
Visuels :©
RYAN YASMINEH Ur Salim 2022
GENTILE DI NICCOLÒ, DIT/DETTO GENTILE DA FABRIANO
Scomparto di predella con Storie di San Nicola : il Santo salva una nave dal naufragio, 1425, tempera et or sur bois, 39,5 x 62,5 x 3,8 cm
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