Après avoir investi Saint-Raphaël en 2022 pour une tentaculaire exposition sur les «ExodeS», Simone Dibo-Cohen propose cette année «MythologieS», un voyage «du sommet du mont Olympe aux ruelles sombres de Gotham City». Plus d’une centaine d’œuvres d’art contemporain y sont exposées du 14 juin au 12 octobre, et entre les photographies, les dessins, ce sont surtout les sculptures qui dominent. De quoi bétonner ce thème-tiroir insaisissable que sont les mythes…
L’entrée du centre culturel de Saint-Raphaël est décorée d’une large bannière marron, où l’on peut lire, comme s’il s’agissait du titre d’une collection de BD, «MythologieS. D’Achille à Batman». Intrigantes, des fêlures stylisées entravent ce gros mot de la culture, que l’on a entendu partout sans vraiment savoir le définir : où faire commencer le mythe, où le faire finir ?
Depuis la rue, un œil observateur verra déjà s’élever derrière les baies vitrées des silhouettes en plastique, spectracles, que la lumière de part et d’autre du hall continue de sculpter. Ce sont les Titans-titanides de Stéphane Carbonne, ces divinités qui incarnent le chaos précédant le règne des dieux de l’Olympe, et qui sont représentées par l’artiste avec une finesse surprenante. A côté d’une scène en mouvement, tumultueuse, un grand visage inquiétant nous regarde. Cette première œuvre en plastique donne le ton : le mythe l’est, lui aussi.
Citant Roland Barthes, Noam Chomsky, Gloria Steinem, Carl Gustav Jung les uns après les autres dans le catalogue, Simone Dibo-Cohen, commissaire de l’exposition, propose un fil d’Ariane engagé, mais un peu confus… Alors si tout semble avoir été dit sur les mythes, en tant que ressources de l’imaginaire, ou discours mobilisateurs, écrasants, comme traces de l’histoire ou fabulations oniriques, cette difficile entreprise de définition est peut-être le lieu par excellence de la représentation.
Également présidente de l’UMAM, Simone Dibo-Cohen a donc rassemblé une quarantaine d’artistes pour investir des lieux contemporains, mais non moins emblématiques de la station balnéaire : le centre culturel, le musée archéologique et le jardin Bonaparte surplombant la mer. Sur notre chemin, on peut aussi observer les trois Jötunn en marche, figures inspirées de la mythologie nordique, par Yvan Marin Boutrais (22 ans). Ces étranges nomades en ciment, la filasse au vent, sont dotés dans les mythes de pouvoirs divins, d’une force impressionnante mais symbiotique avec leur environnement, et leur posture, leurs yeux ébahis, pose notre regard sur une vulnérabilité nécessaire avant qu’elle ne devienne contrainte.
Près de la salle Raphaël du centre culturel, on découvre une installation en céramique par Marie-José Armando, un labyrinthe délicat sur lequel souffle Éole. La salle est plus sombre sans le soleil à travers les fenêtres, mais au centre brille un Apollon doré en slip de bain, une African Athena en marbre, des visages classiques recouverts de peinture pastel. Autour d’eux jouant avec les canons d’une mythologie gréco-romaine à laquelle on pense instinctivement, il y a un cafard ou des photographies pop dans le Far West.
Un splendide dessin d’Ernest Pignon Ernest, intitulé David et Goliath. De ce mythe suranné il crée une composition mêlant le Caravage au visage de Pier Paolo Pasolini, génial cinéaste et écrivain italien. Les mythes sont un fourre-tout total, diffus, qui s’adressent à nos subjectivités avec force, structures puissantes, pourtant quel que soit celui qui nous parle le plus à MythologieS, ils semblent tous y être révélés dans leur fragilité.
Fragilité martyr dans ce dessin, fragilité paisible dans Lady Mirror de Gille Gacha Beya, une installation représentant la divinité congolaise et gabonaise Mami Wata avec une peau perlée de bleu dans un bain sombre, fragilité amusante aussi dans des tableaux et sculptures qui ne manquent pas d’ironie. Anne Bothuon présente des silhouettes ouatées, blanches, des corps qui pourraient être le nôtre, avec un masque animalier qui nous replace dans l’horizon mythologique. Mais l’attente certaine et inquiétante de son Zeus voulant séduire Léda dérange encore, avec justesse : assis, la tête à peine inclinée vers sa proie, nous sommes placés dans ce moment liminaire, sévère, des «histoires d’amour» grecques.
Au charmant musée archéologique, sous la fraîcheur des pierres, il faut sillonner les pièces de la collection permanente, traverser un jardin pour accéder à une ancienne église. Comme des gardes des sculptures trônent à l’entrée, comme Jésus une tête de Poséidon devient l’axe central de voûtes aux fresques roses. Elles sont presque toutes l’œuvre de Christophe Charbonnel. Il nous raconte un parcours dans la BD, la livraison-manutention, avant de prendre des cours de modelage et d’y découvrir sa vocation.
«Moi qui était fan de BD, j’ai commencé à découvrir l’art classique et donc la mythologie. Je me suis dit que c’était évident, que tous les super héros que j’aime venaient de là. J’ai creusé, j’ai découvert un monde fabuleux. Ça parle de moi, ça parle de nos travers, de nos joies, de nos peines, c’est aussi violent.» Assez classique dans ses bronzes, il nous dit utiliser encore l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci pour ses proportions. Gaia, Thésée ou l’Amazone sont partout, monumentales, et la commissaire de l’exposition ne cache pas son envie de soutenir absolument les artistes qu’elle aime, c’est d’ailleurs autour du travail de Charbonnel qu’est née l’exposition «MythologieS».
Au jardin Bonaparte, un parc public avec vue sur la baie de Saint-Raphaël, on découvre encore des œuvres du sculpteur, parmi une dizaine d’autres. Parfaites dos à la mer, dans leur décomposition astrale et saline, on y voit notamment Diptyque Eveil de Zigura Egor, un couple aux corps ruinés, aux visages paisibles.
Finalement, on ne peut que saluer le travail de Simone Dibo-Cohen, dans sa volonté de soutenir des artistes émergent.e.s, variés, qui d’ailleurs émergent.e.s ou très installé.e.s ont tous et toutes suivi ce fil d’Ariane des «MythologieS». S’il reste un peu brumeux, et que cette thématique des mythes pluriels n’innove pas en tant que telle, c’est aussi qu’ils sont encore là, incertains, toujours déjà forts et fragiles. Ouverts, alors, à tous.tes.
Visuel : Photographie des sculptures de Zigura Egor, par (c) Franck Cluzel