Les peintures sur papier, un aspect inédit de l’œuvre de Pierre Soulages

Un support déterminant pour Pierre Soulages

Pour Alfred Pacquement le commissaire de l’exposition « tout a commencé avec le papier ». En 1946, quand il commence à peindre dans son atelier à Courbevoie, Pierre Soulages (1919 -2022) choisit le papier. Il apprécie la sensation de liberté et les facilités que lui procure la peinture sur papier. Il débute au fusain puis très vite il découvre le brou de noix. Ce sont ses peintures sur papier au brou de noix qui sont retenues en 1948 pour une exposition itinérante en Allemagne, la « Französische Abstrakte Malerei ». Elle est la réponse à l’infâme exposition itinérante organisée en 1937 par le régime nazi pour déconsidérer « les arts dégénérés ». Pierre Soulages est le benjamin mais une de ses œuvres devient l’affiche de l’exposition qui parvient jusqu’aux collectionneurs américains. Sa carrière internationale peut débuter.
Le musée du Luxembourg nous montre 130 peintures sur papier de Pierre Soulages, réalisées entre 1946 et 2003. Beaucoup proviennent du musée Soulages à Rodez qui avait bénéficié à son ouverture en 2014 d’une importante donation de l’artiste. Une trentaine d’œuvres sont inédites. L’exposition suit un parcours chronologique. Il existe des explications claires dans chacune des salles et deux films sont proposés au public avec une interview de l’artiste à des époques différentes. Nous découvrons des affiches des grandes expositions du peintre dont celle de 1948 en Allemagne, celle de Rodez en 2018-19. Les salles sont entièrement blanches, suffisamment vastes, avec une grande hauteur de plafond et un éclairage bien adapté. La scénographie permet cette confrontation du blanc lumineux avec le noir et le sombre, qui est constitutive de l’œuvre de Pierre Soulages. Enfant, il dessinait déjà des traits noirs sur du papier blanc étincelant en parlant de « paysages de neige ».

Une grande variété de matériaux

Pierre Soulages a beaucoup fréquenté, jeune, les artisans de Rodez, sa ville natale. Il se revendiquait lui même comme un artisan n’hésitant pas à utiliser des outils de peintre en bâtiment. Ces premières œuvres au fusain donnent une impression de légèreté, le dessin est éthéré, un peu mystérieux. Le brou de noix est utilisé par les ébénistes. Il devait chauffer les morceaux de résine, le résultat était une pâte qu’il fallait remuer longuement, la tache de Colette Soulages, pour la liquéfier et obtenir, presque une peinture. Avec ce matériau brut, l’artiste donne une impression de spontanéité, de puissance créatrice. Il décline toutes les nuances de brun, des bruns à la fois sombres et chauds. Dans les années soixante et soixante dix, il va utiliser l’encre et la gouache avec des créations de plus grande taille. Certes le noir domine toujours, mais avec la gouache il diversifie les couleurs. Le visiteur remarquera quatre peintures bleues. Le bleu est profond, proche d’un bleu nuit, très beau dans son contraste avec le noir. Les formes sont géométriques, toutes simples. En face, une grande peinture sur papier marouflé et sur panneau allie le blanc, le beige, le gris avec une grande harmonie. Au début des années 2000 Pierre Soulages revient aux brous de noix et essaye de nouvelles techniques. L’arrachage ou le raclage à la spatule sur fond noir fait apparaître des éclats de blanc en lignes horizontales. Il pourrait s’agir d’une partition de musique mais … quelque peu chaotique. Il utilise aussi la mine de plomb pour des peintures sur papier qui rappellent vraiment les « Outrenoirs ».

Une abstraction radicale

Pierre Soulages a toujours choisi l’abstraction. Elle lui permet la spontanéité, la liberté, le surgissement de l’inconscient. L’absence « d’illusion figurative » donne toute son importance à la forme, au rythme, à l’espace. Les formes vont évoluer. Dans les premiers brous de noix, les lignes sont courbes ou rondes, rassurantes, presque confortables. Les brous de noix de l’exposition itinérante en Allemagne sont regroupés dans la deuxième salle disposés régulièrement comme pour une bande dessinée faite d’idéogrammes… dont il nous reste à imaginer le sens. Puis les formes changent, les traits sont rectilignes épais parfois entrecroisés. Les peintures sont plus pleines, très noires, il peut en ressortir une sensation d’enfermement. Les lignes horizontales des peintures plus tardives jouent sur le contraste de lumière entre le blanc et le noir.
Pierre Soulages ne donnait jamais de titre à ces œuvres, pour ne pas influencer le visiteur. L’abstraction en appelle à notre imagination. Il le dit lui même : « Je crois que je fais de la peinture pour que celui qui la regarde puisse se retrouver face à elle, seul avec lui même ». Ainsi avec une gigantesque encre sur papier marouflé de 1963 : le noir domine mais s’associe au gris et au blanc. La forme est massive, inquiétante, évoquant un immeuble en partie détruit. En haut, on pourrait deviner un couple sur le toit. Dans un des derniers brous de noix, daté de 2003, le visiteur pourra admirer les bandes horizontales qui réalisent tout un dégradé de brun interrompu par une bande blanche. Très beau tableau qui pourrait être une évasion vers un coucher de soleil au bord de mer. Sans vouloir revenir au figuratif…
L’exposition est bien construite, à la fois d’une grande unité et plus variée dans les œuvres exposées que nous pouvions le prévoir. Le visiteur pourra être convaincu par cette plongée dans l’abstraction et par la découverte de cette part moins connue de l’œuvre de Pierre Soulages