Les fantômes accumulés de Sophie Calle au musée Picasso

par Amélie Blaustein-Niddam
31.10.2023

À toi de faire, ma mignonne, tel est le titre de l’exposition monstre que Sophie Calle consacre à Picasso, à moins que ce ne soit l’inverse… Un parcours intense où les mort.es sont plus présent.es que les vivant.es.

La peinture est un métier d’aveugle

Depuis que Sophie Calle est artiste, c’est-à-dire depuis ses six ans, comme le montre avec beaucoup d’humour son premier dessin encadré représentant une étrange farandole, elle s’intéresse à la notion de disparition. Alors, quand le musée Picasso l’a invitée à célébrer les cinquante ans de la mort de l’artiste, elle a choisi de relire son œuvre par le négatif. Tout commence donc par le vol de Tête dans un musée de Chicago en 1994. Sophie avait alors demandé à celles et ceux qui connaissaient ce tableau de le décrire. Plus loin, nous découvrons les photos des peintures emballées, et donc invisibles, pendant le confinement, pour les protéger. Plus loin encore, des chefs-d’œuvre du musée sont recouverts de gaze sur lesquelles des descriptions personnelles des peintures sont imprimées. Ce procédé de cache-cache se retrouve dans Parce que, qui est peut-être l’espace le plus émouvant de cette plongée quasi rétrospective de l’œuvre de Sophie Calle, où l’on voit ses photos, drôles, émouvantes, saisissantes, se découvrir en soulevant un tissu épais sur lequel des textes en lien avec l’image sont inscrits.

Guernica(s)

Chez Sophie Calle, l’accumulation parle. Très vite dans le parcours, nous sommes saisis par un mur immense totalement recouvert de pièces faisant partie de sa collection personnelle. Au centre trône une image prise par Alex Majoli, au moment de l’attentat du Carillon le 13 novembre 2015. Et ce n’est pas le seul lien avec la douleur, avec les morts absurdes. Dans son Guernica, on voit une poupée rose post-apocalypse d’Annette Messager ou les photos pleines de paradis artificiels de Nan Goldin. Son Guernica est simplement un manifeste pour l’art des XXe et XXIe siècles. Enragé, désespéré. Peut-être que c’est cette œuvre qui permet de saisir les quatre étages de ce parcours où il faut autant lire que regarder. C’est elle qui permet de comprendre autrement la délirante vente comme chez Drouot de tous les vrais biens de Sophie Calle. Au passage, elle conjure les mauvais sors en montrant la mort en face, particulièrement celle de sa mère.

Cette exposition aussi drôle qu’étrange est à voir jusqu’au 7 janvier 2024. Elle permet, si vous n’avez jamais croisé l’univers foutraque de celle qui, en guise de performance, récoltait nos rêves dans une chambre d’hôtel, de totalement saisir comment elle défie la mort en se jouant d’elle, en permanence.

Le rapport avec Picasso ? Ah oui, il y a trois très beaux autoportraits de lui. Le premier littéral, le second cubiste et le troisième, à la fin, enfantin. On retourne toujours au point de départ, non ? Sophie le dit en parodiant une dernière fois une couverture de polar : Game Over. Si À toi de faire, ma mignonne prend des allures de course au trésor, ici, on ne joue pas. Tout est vrai. Attention, c’est fragile.