Pour les 40 ans des FRAC, le Frac Ile-de-France investit ses Réserves, ouvertes il y a quelques mois, et les locaux de sa voisine, la Fondation Fiminco, pour Gunaikeîon, une exposition qui interroge ses collections de façon à la fois historique et prospective.
En 40 ans, une institution a le temps de grandir, de faire des erreurs, de se réorienter et de s’établir dans un fonctionnement mature et assuré par son expérience. Son parcours est déterminé par de nombreuses variables et est le fruit des actions et des décisions combinées tant des directeurs, des médiateurs, que des techniciens ou des visiteurs. Ces dernières années, le Frac IdF s’est tourné vers des pratiques collaboratives de plus en plus inclusives, comme par exemple permettre aux visiteurs de choisir dans ses collections ce qu’ils veulent voir exposé. La mission originelle des Fonds Régionaux d’Art Contemporain est de constituer une collection afin de soutenir la création contemporaine et sa diffusion dans tout le territoire, mais ne faut-il pas imaginer une mise en application adaptée à chaque époque ?
Ainsi, la directrice du Frac IdF, Céline Poulin, a invité quatre commissaires à la rejoindre pour analyser la collection et son histoire et en tirer des récits qui permettent de réactualiser les œuvres en les soumettant aux questions de notre société actuelle. Le titre, Gunaikeîon, fait référence à ces pièces de la maison dans l’Antiquité où les femmes vivaient, à l’écart de la rue et de sa vie. Peut-on y voir une référence à cet aspect traditionnellement fermé du musée, où les œuvres sont tenues loin des yeux, et ce d’autant plus dans les réserves ? À l’image hermétique que l’art contemporain endosse auprès du grand public ? Quoi qu’il en soit, une volonté d’ouverture des espaces et des collections vers son territoire et ses publics est ici clairement affichée. L’art n’est pas figé, sa perception fluctue avec les spectateurs, les époques, les lieux ou encore avec la confrontation avec d’autres œuvres, et chacun peut le relier à son histoire.
Le Frac nous propose donc cinq récits répartis dans ses Réserves et dans la Chaufferie de la Fondation Fiminco, qui elle fermera ses portes mi-décembre. Un vote est d’ailleurs proposé aux visiteurs pour choisir les œuvres de la Chaufferie qu’ils souhaitent retrouver à partir du 10 janvier dans la partie des Réserves. Suivant leurs questionnements et imaginaires personnels, chaque commissaire a construit un récit qui se déploie dans les deux sites. Céline Poulin, par exemple, s’interroge sur comment l’art peut permettre de créer des expériences et des histoires communes, de créer des liens par la participation à des jeux artistiques aux règles décidées ensemble. L’art peut-il modifier les différents rapports de pouvoir, trouver de nouveaux équilibres ? En proposant de jouer avec les œuvres, un glissement de perception du statut de l’art et de son rôle s’opère, dans une dynamique collective.
Camille Martin et Daisy Lambert ont choisi toutes les deux de prendre une œuvre comme point de départ de leur histoire, la peinture Enigme 17 de Jacques Monory pour la première et le roman L’Aube d’Octavia Butler pour la seconde. Tout en soulevant la question de la figuration en peinture des années 1990 à nos jours, Camille Martin présente les œuvres comme autant d’indices pour recomposer le récit mystérieux qui résoudra l’énigme de Monory. Des personnages fantomatiques de Shuo Hao aux paysages nocturnes étranges de Mayssa Jaoudat en passant par les toiles miniatures de Sophie Varin, le film se reconstitue peu à peu dans notre imagination. Daisy Lambert, quant à elle, met en regard notre époque qui peut faire penser à une fin du monde et l’après, un futur prospectif où l’humanité se sera reconstruite, forcée d’abandonner les modèles de société obsolètes.
Jade Barget et Elsa Vétier interrogent toutes les deux les rapports qu’entretient l’humain avec son environnement. Jade Barget oriente sa réflexion sur les atmosphères et les écosystèmes, se penchant plus particulièrement sur l’idée de toxicité. Elsa Vétier s’est intéressée aux relations entre humains et avec d’autres espèces et les rapports de forces, les tensions, les frictions qui en naissent. Pour appartenir à un groupe, faut-il nécessairement en rejeter un autre ? Et comprend-on réellement les autres, que l’on parle le même langage ou non ? La commissaire aborde également le thème de notre rapport à l’image, qui peut sembler être un message universel car non soumis au langage. Mais nous le savons avec les réseaux sociaux, l’image peut manipuler, déformer la réalité, et ce d’autant plus que nous avons tous des grilles de lectures différentes, où le ressenti a une part importante.
Avec quelques 140 œuvres pour 90 artistes, cette exposition anniversaire du Frac nous montre que l’art peut raconter de nombreuses histoires qui viennent se superposer à celle de son créateur et de son époque. Et ici, chacun a son mot à apporter au récit.
40 ans du Frac ! Exposition Gunaikeîon
Du 15 octobre 2023 au 24 février 2024 au Frac Ile-de-France, Les Réserves, Romainville
Du 15 octobre au 16 décembre 2023 à la Fondation Fiminco, Romainville
Visuels :
1- Jenny Gage, Untitled n°10, 1996 – Photographie couleur 65,2 x 98,6 x 2,5 cm – Collection Frac Île-de-France © droits réservés
2- Jacques Monory, Énigme 17, 1995, collection Frac Île-de-France © Adagp, Paris 2023 – Photo Jacqueline Hyde
3- Mathis Collins, Artiste policier et le Guignol’s Band, 2020 – Bois de tilleul sculpté, teinte à bois 201,5 x 121,7 x 5 cm – Collection Frac Île-de-France © droits réservés
4- Sylvie Fanchon, Sans titre (Et si nous discutions), 2018, Acrylique sur toile 100,2 x 160 x 4 cm – Collection Frac Île-de-France © Sylvie Fanchon / Adagp, Paris, 2023