Le Pavillon du Vatican, le choc carcéral de la Biennale de Venise

par Amélie Blaustein-Niddam
19.06.2024

L’exposition intitulée With My Eyes est LA sensation de la 60ᵉ Biennale de Venise. Pour la première fois, le Pavillon du Vatican s’installe à l’intérieur de la maison de détention pour femmes de la Giudecca pour une déambulation qui a tout d’une performance vivante.

Un cardinal fou d’art contemporain

Le commissaire, le Cardinal José Tolentino de Mendonça, est comme un ministre de la Culture au Vatican. L’homme est connu pour avoir un goût très sûr pour l’art contemporain. La preuve en acte, il a demandé à Chiara Parisi et à Bruno Racine d’être les commissaires du plus grand des pavillons. On y retrouve le Graal de la modernité. Maurizio Cattelan, Bintou Dembélé, Simone Fattal, Claire Fontaine, Sonia Gomes, Corita Kent, Marco Perego & Zoe Saldana et Claire Tabouret ont créé ou installé des œuvres pour et avec les détenues de la prison, au cœur de leur lieu de captivité. Toutes sont recluses pour de longues périodes, et évidemment on ne sait rien de leurs fautes.

Laissez-passer

Contrairement à tous les autres pavillons, celui-ci demande de prendre du temps, vraiment du temps. Il faut déjà traverser les eaux pour aller de dell’Accademia à l’ancien quartier juif – d’ailleurs, le premier ghetto de l’histoire est né à Venise. On n’est pas à un symbole près. En voici un deuxième : la prison est un ancien couvent. Et pour le coup, tous ces endroits ont en commun d’être clos. Avant d’accéder à ce pavillon, vous devez faire une demande, votre casier judiciaire est passé au crible. Une fois sur place, ce n’est pas fini. Vous devez compter une heure d’attente et de vérification, l’après-midi, en plein soleil. L’acte est déjà là, intense. Cela vous donne tout le temps d’admirer la première œuvre, monumentale, de Maurizio Cattelan. Elle représente deux pieds nus face à nous. L’image est claire, elle écrase et nous rappelle de nous déposséder de tout avant d’entrer dans ce lieu presque sacré. L’image se traduit rapidement en fait, puisque nos sacs, téléphone, crayons… sont laissés au vestiaire.

Au plus près du regard

Nous allons, une fois entré.e.s, parcourir tous les espaces de la prison, à part les cellules que nous n’apercevons que par leur manifestation la plus directe, les barreaux. Le jour de notre visite, une détenue balance un seau d’eau sur une visiteuse en guise de contestation. « Elles ne sont pas toutes d’accord avec ce projet » nous dit notre guide du jour, elle-même prisonnière et gardée de près.

Car là est le fil, celui d’aller vers une rencontre qui passe par le regard. Le titre de l’exposition With My Eyes est une double référence, l’une séculaire et l’autre religieuse : « I love thee not with mine eyes » (Shakespeare, Sonnet 141) et le verset 42.5 of the Book of Job, « Mine eyes have seen thee ». Lors de notre déambulation, nous croisons plusieurs œuvres qui s’emparent des yeux. La plus marquante est celle du collectif Claire Fontaine qui a installé son néon, crée pendant l’épidémie de la Covid sur l’un des murs de la cour centrale, lieu des promenades hebdomadaires. Le message dit « Siamo con voi nella notte » (nous sommes avec vous la nuit). Et cette œuvre qui s’illumine est visible par toutes. L’une des œuvres les plus fortes, grâce à son fond et sa forme, est Dovecote, en français, le pigeonnier du couple star Marco Perego & Zoe Saldana. Il s’agit d’un court métrage de 17 minutes qui nous raconte le passage entre la servitude et la liberté, lumineux, qui met en scène les gardiennes et les détenues. La salle de projection est accolée au jardin d’enfant (toboggan et balançoire) de la prison, car ces femmes sont souvent mères aussi. On l’oublie.

Retrouver la liberté

Les propositions insistent sur l’attrait de la normalité perdue. Les peintures de Claire Tabouret illustrent des scènes paisibles en famille. Et les impressions pops de Corita Kent, qui fut bonne sœur à Los Angeles à partir de 1936 avant de quitter les ordres en 1968 pour se consacrer au pop art – et dont le travail avait été jugé blasphématoire par l’archevêque de Los Angeles, James McIntyre – hurlent l’espoir.

Le point d’orgue est sans aucun doute l’installation des chrysalides de Sonia Gomes. Il s’agit d’une installation à couper le souffle composée de sculptures suspendues, intitulée Sinfonia. L’œuvre est placée en équilibre entre les balcons théâtraux et les confessionnaux de la chapelle entièrement peinte.

Du sublime dans une prison, cela est inattendu. L’expérience est mystique, vraiment, elle vous pénètre sans vous lâcher, elle se place au point central d’une rencontre qui paraissait impossible. Il s’agit d’un choc sensible et esthétique qui fonctionne par une dramaturgie digne des meilleures performances.

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