« Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là » au Musée Carnavalet

par Blanche Aloncle
10.04.2025

Si l’on connaît Agnès Varda pour ses films où se mêlent utopie, marginalité et engagement social, son œuvre photographique, tout aussi singulière, demeure méconnue. Du 9 avril au 24 août 2025, le Musée Carnavalet offre l’occasion rare de découvrir cet autre visage de l’artiste à travers l’exposition inédite Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là, une immersion fascinante dans l’univers visuel de la cinéaste.

Une exploration inédite de son œuvre photographique

Fruit de plus de deux années de recherches dans le fonds photographique de l’Institut pour la photographie des Hauts-de-France et dans les archives de Ciné-Tamaris, cette exposition met en lumière 130 tirages emblématiques. Ces photographies témoignent de la vie artistique, familiale et parisienne d’Agnès Varda, offrant une lecture intime de sa carrière artistique.

Le parcours immisce le public dans son imaginaire visuel et créatif, tissant des liens entre sa carrière de photographe et de cinéaste tout en révélant l’importance de son atelier du 14^e arrondissement. Au 86 rue Daguerre, où elle a vécu et travaillé de 1951 à 2019, se révèle ainsi l’épicentre de son œuvre. D’anecdotes rigolotes, d’extraits de films et d’interview en images inédites et objets personnels, l’exposition délivre un pan fascinant de la vie de la cinéaste.

Agnès Varda derrière sa « chambre »

Méconnu, le travail photographique d’Agnès Varda, est pourtant très conséquent. Dès son arrivée à Paris, dans son atelier de la rue Daguerre, l’artiste se place derrière la caméra, la chambre, et capture les instants fugaces des rues parisiennes. Elle transforme les banalités de la ville en images pleines de poésie et d’humour, aux accents surréalistes. Ses « Drôles de gueules » par exemple, où chaises et objets du quotidien se métamorphosent sous son objectif en formes étranges et presque monstrueuses, témoignent de sa capacité à jouer avec la réalité.

Ce sont Fellini, Brassaï, Calder, Deneuve, Birkin et tant d’autres célébrités qui passeront devant l’objectif d’Agnès Varda, contribuant à dessiner les contours d’un Paris vibrant et artistique. Cependant, Varda n’établit pas ses frontières pas à ce monde lumineux et créatif et l’exposition dévoile aussi une facette de son travail, plus sociale et engagée. On le savait déjà pour ses films mettant en scène la marginalité et la pauvreté comme Sans toit ni loi et Daguérréotypes, son travail s’adonne aussi à des sujets plus sombres. L’exposition contient par exemple une série destinée à un projet de livre photographique, L’Opéra-Mouffe, réalisée dans le 5^e arrondissement près de la rue Mouffetard, dans laquelle Varda photographie la misère et la pauvreté du quartier. Même si son regard bourgeois sur un tel sujet est incontestable, c’est avec simplicité qu’elle dépeint cette réalité, prouvant un intérêt conscient et bienveillant.

Amies, femmes cinéastes, comédiennes et artistes

Agnès Varda n’a jamais cessé de mettre en avant la question de l’émancipation féminine, de la maternité et de l’amitié. L’exposition aborde plusieurs aspects de son engagement féministe. Que ce soit dans ses films, comme L’une chante, l’autre pas, dans ses interviews ou dans ses photographies, elle réaffirme, avec subtilité et force, sa vision de la place des femmes ; notamment dans le cinéma, un domaine qu’elle réinvente sans cesse. Ce « cinéma de femme » qu’elle évoque dans une interview, n’existe pas à ses yeux et s’il existe en revanche du cinéma réalisé par des femmes, il est plus innovant et libérateur. Ses sujets favoris, qu’ils soient au cinéma ou en photographie apparaissent ainsi de nouveau au Musée Carnavalet.

Avec simplicité, son travail incarne encore une fois ce qu’on aime tant chez elle : cette capacité à raconter, sans détour, la liberté et la poésie. Son œuvre résonne, toujours aussi puissante aujourd’hui. Elle a dessiné des mondes utopiques et offert aux regards des complicités féminines et des élans de liberté. Et quand ces espaces semblent se faire rares, il suffit de revenir à Agnès Varda : elle les a laissés là, intacts.

Visuels : ©Ciné-Tamaris