Le long du Danube, l’histoire immédiate affleure

Quand vous longez le Danube à l’ouest de Vienne entre Melk et Krems, vous êtes frappé par la concordance entre l’air de valse écrit par Johan Strauss junior en 1867 et la vision lénifiante qui s’offre au regard. Les collines escarpées barrées de vignes rousses en terrasse alternent avec les vergers d’abricotiers et les petits villages se lovent sur le rivage autour de leur gare d’opérette. Mais comme cette valse, l’air le plus écouté au monde (1,3 millions de téléchargements journaliers), le lieu est moins innocent qu’il n’y paraît et ce n’est pas son moindre intérêt d’avoir ainsi une double face. D’ailleurs la valse elle-même est moins lisse que la mythologie bâtie autour de Sissi n’a voulu le faire croire, Strauss fit scandale à l’époque par son livret original foutraque quant aux valses elles semblaient d’une sensualité torride.

Trente kilomètres de paysage classé par l’Unesco

Mais revenons au fleuve qui dans la Wachau se la coule douce. Il n’y a pas ici de sirènes inquiétantes qui séduisent les marins comme dans les Nibelungen voisines seulement la rondeur des collines escarpées où les vendanges relèvent du sport extrême. Les eaux du Danube n’ont pas toujours été policées comme le rappelle Claudio Magris dans cet ouvrage où il remonte le cours du fleuve et parcourt son histoire de la source jusqu’au delta (Danube, 1986). Dès Marie-Thérèse d’Autriche des travaux sont entrepris pour en dompter le cours ce qui lui donne maintenant un air benoit. L’impératrice Marie-Thérèse dont le portrait trône en majesté dans la somptueuse abbaye bénédictine qui à Melk domine le fleuve de sa monumentale façade jaune d’or, la couleur des Habsbourg. Un monastère si célèbre qu’Umberto Eco a situé là le narrateur du Nom de la Rose son roman policier médiéval. L’endroit possède un trésor, une bibliothèque somptueuse riche de 100000 ouvrages dont de nombreux incunables (des livres datant d’avant l’imprimerie). Une Bible de Gutenberg vient d’être vendue récemment à Harvard pour en financer la restauration, preuve que cela n’entamait pas vraiment la richesse du lieu !

L’abbaye du Nom de la Rose

Si ce monument baroque opulent tient plus du palais que de l’austère couvent c’est qu’il était aussi résidence impériale. Adossé au pouvoir religieux l’empereur voyageait de monastère en monastère avec une suite de trente personnes. Le bâtiment de trois cent mètres de large est donc partagé en deux ailes parfaitement symétriques, l’aile impériale à gauche qui compte soixante pièces et l’aile religieuse à droite. « Une symétrie typique de l’époque baroque » souligne Johan guide francophone au franc parler. Dans une immense galerie de deux cent mètres de long trônent les portraits des dynasties autrichiennes Babenberg la première et Habsbourg ensuite avec en acmé l’incontournable et très austère impératrice Marie-Thérèse qui eut seize enfants dont Marie-Antoinette. Détail piquant, le couvent accueillera ensuite la plus ancienne école d’Autriche (1161) puis un lycée qui sera fréquenté par des personnalités aussi différentes que l’architecte Adolf Loos et le théoricien marxiste Kautsky …

Cette sublime Bibliothèque et l’ église adjacente qui croule sous les ors (Mozart y joua) étaient des vitrines censées attirer les novices les mieux dotés (oui les hommes dans ce cas avaient aussi une dot). (Visite de l’abbaye en français tous les jours à 15H05. Stiftmelk.at/en).

Un sous-camp de Mauthausen

De la terrasse en surplomb le visiteur admire la petite ville de Melk (4000 habitants) et la rivière éponyme, un affluent du Danube lequel trace un trait bleuté dans le lointain. Sur la gauche pourtant une caserne attire le regard. C’est l’ancien camp de concentration de Melk qui dépendait de Mauthausen à seulement vingt kilomètres de là. Les prisonniers creusaient dans la roche meuble les tunnels d’une usine d’armement souterraine dédiée aux roulements à billes. En 1944 le projet Quartz mobilise 14400 détenus, un flux humain qui ne pouvait passer inaperçu dans une si petite bourgade. Le four crématoire subsiste et un petit musée attenant sert de mémorial fréquenté entre autres par les élèves des écoles locales. « La population est très sensible à ce souvenir car chacun a un ancien nazi parmi ses ascendants » souligne Johan notre guide. (Pour visiter consulter melk-memorial.org/en)

Un château très symbolique

A quelques kilomètres de ce lieu de mémoire le ravissant château d’Arstetten prend lui des allures de conte de fées avec les bulbes de cuivre qui coiffent ses tourelles (l’armée russe crut voir une église orthodoxe !). Un lieu à la fois charmant et dramatique. Propriété à l’époque de la famille impériale, il abrite la sépulture de l’archiduc François Ferdinand auquel il appartenait et dont l’assassinat à Sarajevo a été le point de départ de la première guerre mondiale.

Pourtant, paradoxalement l’endroit reste joyeux et la jeune Comtesse Alix de la Poëze d’Harambure descendante de François Ferdinand raconte elle-même toute l’histoire en français à ceux qui ne se suffisent pas d’un audioguide (sur réservation). Un récit qui dévoile à quel point l’Archiduc était conscient de l’état explosif d’un empire rassemblant plutôt mal que bien douze peuples et douze langues différentes. « Il avait le projet de faire bouger les choses sur un modèle fédéraliste « explique la comtesse qui a lu tous les livres. François Ferdinand et Sophie sa femme sont enterrés là dans la crypte, un lieu que ce monarque atypique féru de botanique et grand voyageur préférait à la sépulture Habsbourg écrasante de Vienne. Artstetten offre un condensé passionnant sur l’arrière-plan des conflits européens du XXème siècles toujours très mal éteints, cartographies et documents à l’appui (www.schloss-artstetten.at)

François Ferdinand, l’archiduc d’Autriche, © château d’Arstetten

La région natale de Kokoschka et Schiele

La Basse-Autriche a vu naître plusieurs artistes partis étudier ensuite à Vienne comme Kokoschka (à Pöchlarn) et Egon Schiele (à Tulln, le musée est situé dans la gare que son père dirigeait !). A Pöchlarn une association présente chaque année une exposition thématique sur Kokoschka (1886-1980). Cet artiste peintre, illustrateur de presse, scénographe de théâtre et accessoirement écrivain fut on le sait moins un grand pédagogue, un versant méconnu présenté récemment ici comme ses amours tumultueuses avec Alma Mahler. (Oskarkokoschka.at). Relire en chemin « La poupée de Kokoschka » d’ Hélène Frédérick (juste rééditée par les éditions Verticales) permet de prendre la mesure du désir d’emprise de l’artiste. Après la rupture avec Alma il fait coudre par une costumière de théâtre une poupée grandeur nature à son effigie et ne s’en sépare plus, jusqu’au jour où il la détruit et la jette dans son jardin au grand dam du voisinage. Car ce fétiche était ouvertement sexualisé. Au Musée Léopold à Vienne une réédition de cette fameuse poupée est présentée dans l’exposition Vienne 1900. (Leopoldmuseum.org)

Le long du Danube

Krems ville médiévale ravissante s’avère un excellent point de départ pour une randonnée le long de la vélo-route fluviale ou une mini-croisière jusqu’à Spitz, afin de vérifier la couleur changeante du fleuve (1h30,31 euros, ddsg-blue-danube.at). A Dürnstein un étonnant clocher bleu ciel se dresse délicat sur la rive à vol d’oiseau d’un château en ruines où Richard Cœur de lion a été enfermé par le duc Léopold V au retour de sa troisième croisade. Une querelle de clochers ou plutôt de drapeaux avait mal fini (Léopold et Richard rivalisaient pour planter leur fanion au sommet de la ville de Saint Jean d’Acre !) … A Spitz, la vinothèque Fohringer organise des dégustations autour des vins blancs, les Steinfederwein frais et légers et les Smaragdwein profonds et aromatiques issus eux de vendanges tardives (Fohringer.at). Une petite gare bucolique offre de revenir à Krems avec le tortillard local (le Wachaubahn), un train de trois wagons tout à fait familial où la contrôleuse vous accueille individuellement !

Krems est une ville pleine de charme et de vie. Le marché du samedi matin mêle brocante (verres du Rhin, coucous traditionnels…) et marché paysan dans cette bourgade entièrement dévolue à la transformation de l’abricot. Confitures, liqueurs, beignets fourrés, flan à l’abricot tout est une ode au Marille, ce fruit velouté. Mais surtout Krems possède des musées, celui de la caricature sociale et politique (karikaturmuseum par Kunstmeile.at) notamment qui expose l’œuvre de Manfred Deix, sorte de Reiser autrichien agréablement irrévérencieux et des illustrateurs internationaux. Juste à côté le Musée de Basse-Autriche présente des expositions contemporaines dans un bâtiment d’avant-garde. Actuellement (jusqu’au 3 mai) le travail d’Iris Andraschek y est présenté. Cette artiste engagée qui travaille sur les migrations (des œuvres en savon d’Alep en écho au flux migratoire syrien). Le restaurant excellent et l’architecture contemporaine élégante font du lieu une étape intéressante. Il ne restera plus qu’à aller savourer les plaisirs sophistiqués du Steigenberger le meilleur quatre étoiles local dont le restaurant, le bar extérieur et la piscine en roof-top ouvrent sur les vignes en terrasses. Un bonheur nimbé en automne des rousseurs de la vigne.

En pratique

La Wachau se situant à seulement 80 kilomètres de Vienne, vous y arriverez facilement en train.  Quant au bateau vous le prendrez entre Krems et Spitz. Pour en savoir plus : Donau.com/en et Austria.info.fr

Où loger ?

Le Steigenberger (Steigenberger.com 187 euros, petit déjeuner plantureux compris) est un hôtel doté d’un très beau spa et d’un centre de wellness.  Avec ses deux piscines chauffées dont une vitrée donnant directement sur le vignoble, ses trois saunas, son centre de soins à la carte (kinés, entraineurs sportifs, masseurs, médecin esthétique…) c’est l’adresse à expérimenter même si pour le reste du périple vous choisissez une auberge plus modeste.