Le Drawing Lab nous invite à une incursion dans la réalité virtuelle avec la nouvelle œuvre de Boris Labbé, Ito Meikyû. Une expérience du dessin surprenante.
Chaque année, le Drawing Lab lance un appel à projet pour produire une exposition menée par un duo artiste/commissaire qui joue avec les limites du dessin. Cette année, l’artiste Boris Labbé et la commissaire Judith Guez ont été sélectionnés par le jury sur le thème du dessin et nouveaux médias et médiums. Par ses projets, le Drawing Lab cherche à nous montrer que le dessin n’est pas limité à un crayon et du papier : il peut se composer de lumière, s’étaler sur les murs, orner de la céramique ou investir la vidéo, tout est possible dès que l’artiste n’oublie pas l’essentiel : le trait.
Pour Boris Labbé, le trait est un fil. Celui du métier à tisser qui s’entremêle aux autres, celui de la calligraphie qui danse dans ses vidéos, celui d’Ariane dans son labyrinthe. Et tous se rencontrent pour former une grande tapisserie qui relie chacun des aspects du travail de l’artiste. Son parcours même mêle plusieurs disciplines : après l’Ecole d’art de Tarbes, il se dirige vers le cinéma d’animation à Angoulême, domaine dans lequel la reconnaissance est rapide sur la scène internationale. La preuve en est sa nouvelle récompense reçue le 7 septembre dernier, le Grand prix de la 81ème Mostra de Venise dans la section Venice immersive pour Ito Meikyû, au centre de la présentation au Drawing Lab.
Le nom du projet est un assemblage de mots japonais (Ito Meikyû, fil et labyrinthe), mettant en valeur les références à la culture japonaise classique : les Notes de chevet de Sei Shonagon, le Dit du Genji de Murasaki Shikibu et la technique utilisée dans la peinture de l’époque de ces deux autrices (11ème siècle), le fukinuki yatai, ou toit soufflé, qui permet de voir à l’intérieur des différentes pièces dans une perspective cavalière. A l’image de ces deux mots japonais dont l’association a été faite par l’artiste, l’œuvre est composite, tissant les diverses inspirations de l’auteur, que l’on aperçoit dans la trame de son récit. Ainsi, Boris Labbé met en place un univers qui semble à la fois familier et inédit, nous plongeant confortablement par ce biais dans une nouvelle expérience du dessin.
L’exposition se visite en deux temps : les œuvres réelles et l’œuvre virtuelle. La réalité tangible associe des collections de choses, de mouvements et de personnages à l’aquarelle dans un style qui rappelle Brecht Evens, un grand métier à tisser jacquard aux cartes immobiles percées de kanas, des paravents zébrant l’espace de leurs fils tendus, de vidéos d’animation et de sérigraphies. Si on peut se demander au premier abord ce qui relie ces éléments disparates, on se rend ensuite compte qu’ils constituent une sorte de répertoire de formes, d’idées et d’expérimentations pour Boris Labbé. Reprenant le style de Sei Shonagon, il dresse la liste des choses qui s’imbriquent dans son projet, fait crépiter les calligraphies japonaises, décompose les mouvements, fige l’action ou anime les décors.
Le clou de l’exposition est l’œuvre virtuelle, qui s’expérimente avec un casque de réalité virtuelle sur les yeux, au milieu de l’installation. On évolue dans un univers sur fond noir où le dessin s’anime en blanc et en couleurs. Nous apercevons différentes scènes, dans lesquelles nous pouvons nous déplacer par le regard, explorant une maison japonaise, un cinéma, une aire de jeu… A chacun son parcours, rien n’est défini. Et l’impression d’être au milieu du dessin, dans l’intimité des personnages, est saisissante. Ici les portes coulissent et nous baissons la tête pour jeter un coup d’œil dans une petite pièce, là nous évitons une poutre en bois, essayant de nous rattraper pour échapper au vide sous nos pieds… Accompagnés par une bande son spécifique à chaque lieu, l’immersion est complète. Nous errons dans le labyrinthe de Boris Labbé, nous demandant si nous aussi n’allons pas nous transformer en personnage d’aquarelle.
Avec Ito Meikyû, Boris Labbé et le Drawing Lab nous entrainent dans une expérience hybride surprenante et inédite, qui ouvre les possibilités du dessin, hors du papier et de la 2D. Une exposition qu’il ne faut pas manquer d’expérimenter.
Boris Labbé. Ito Meikyû / Fil d’errance
Du 11 octobre 2024 au 05 janvier 2025
Drawing Lab – Paris
Visuels :
1-Boris Labbé, Ito Meikyū, 2024 installation immersive et interactive, casque VR 4
2-Boris Labbé, Collections, Personnages, 2023-2024. Encre et aquarelle sur papier, 30×42
3-Boris Labbé, Mono no aware, dessin préparatoire pour le projet Ito Meikyū _ Fil d’errance, Courtoisie de l’artiste © Sacrebleu Productions
4-Boris Labbé, Ryo Orikasa, Calligraphies crépitantes, 2024, Vidéo dyptique
5-Boris Labbé, Tricot, 2024, vidéo