Jusqu’à la fin septembre, l’écrin métallique de la Fondation Groupe EDF tente de donner une chance à l’avenir. Ce que l’horizon promet, sous le commissariat brillant du professeur Gérald Bronner, de la commissaire Samantha Barroero et de Nathalie Bazoche, la responsable du Pôle Culture de la Fondation, déploie sur trois étages des œuvres qui amusent, émerveillent et questionnent.
Ancienne sous-station électrique reconvertie en fondation engagée dans la transition écologique, ce lieu atypique s’attaque à un double défi : soutenir les compétences existantes – à travers l’accompagnement de 300 associations – et engager collectivement en passant par la culture. Une manière d’envisager l’avenir autrement, à travers des expositions pensées comme des espaces de réflexion partagée.
L’exposition actuellement présentée a été décidée il y a un an et demi. Son axe est le futur, son angle, une approche scientifique. Portée par un triple commissariat réunissant Nathalie Bazoche, Samantha Barroero et le sociologue Gérald Bronner, elle interroge notre rapport à l’incertitude et à l’anticipation. Les œuvres ont été choisies collectivement, avec un soin particulier pour leur capacité à ouvrir des perspectives. Gratuitement accessible, elle accueille également des groupes scolaires et associatifs, affirmant ainsi une vocation pédagogique et inclusive.
Pour Gérald Bronner, qui signe ici sa première exposition, le projet s’ancre dans un parcours personnel de réflexion : « J’ai fait ma thèse sur l’incertitude. L’actualité nous ramène sans cesse devant cette question. L’être humain a toujours tenté de négocier avec l’imprévisible. L’enjeu est de se diriger vers un réel désiré plutôt qu’un réel craint. » Une ambition qui convoque la pensée de Max Weber – la magie comme étape de rationalisation du monde –, de Descartes et son rêve d’un homme « maître et possesseur de la nature », ou encore du démon de Laplace, cette intelligence théorique capable de tout prédire.
L’exposition se découpe en trois axes : la certitude et l’incertitude, la magie et les sciences, ainsi que le libre arbitre. Le dialogue entre artistes et penseurs y est central. Jean Devignau affirme que « les artistes répondent à des questions qui ne se posent pas encore ». Ce constat se vérifie dans les œuvres exposées, en résonance avec les réflexions de figures comme le mathématicien Cédric Villani, le psychiatre Raphaël Gaillard, qui souligne notre difficulté à cohabiter avec nous-mêmes, ou encore Émile Servan-Schreiber, qui met en lumière notre tendance à focaliser notre imagination sur des scénarios pessimistes.
L’expérience débute par une installation en intelligence artificielle questionnant notre vision du monde en 2100. De là, le visiteur plonge dans un univers où l’art dialogue avec les concepts scientifiques et philosophiques. Marcia Tiburi propose Vortex, une figure de femme-chouette, métaphore de la perception et de la transformation. Mais l’œuvre qui nous sidère est le Cyclone d’Évariste Richer, qui représente Florence, un ouragan massif survenu en 2018. Dix mille dés sculptent l’image de ce phénomène, allégorie du chaos et de l’inconnu, dans un aplat blanc et noir totalement obsessionnel. C’est, au passage, extrêmement beau et fascinant à observer.
Plus loin, on se prend d’abord à rire avec Gérald Panighi et son Oracle sous forme de bande dessinée, puis avec Pierrick Sorin, qui, dans une installation vidéo, capte un arc-en-ciel dont l’apparition dépend des humeurs des habitants de Nantes. En avançant, l’humour laisse place à l’impressionnant. Christine Rebet convoque l’histoire à travers un cabinet de spiritisme annonçant le totalitarisme, incarné dans des dessins animés à l’apparence enfantine.
À l’étage, la relation entre magie et science se déploie. Alice Gauthier peint des pigments d’ombre sur bois, dans une œuvre exposée sans protection, vulnérable comme notre perception du réel. On y voit un corps allongé sous un soleil doré. C’est superbe. Plus loin, Didier Clain mêle vidéo et son dans une œuvre réalisée à 100 % en IA, qui met en scène un match de basketball sous l’esthétique du manga. Pierrick Sorin, à nouveau, nous offre une expérience avec son Visualiseur d’images mentales, un théâtre optique où la pensée prend corps. Morgane Tschiember livre Skin Poem, une exploration tactile et poétique de l’identité où les mots sont projetés comme des mantras.
Enfin, au sous-sol, l’atmosphère devient introspective et onirique. Ange Leccia filme Ludivine sur l’air de California Dream, une évocation sensible du passage du temps. Cette jeune fille est-elle prise en photo aujourd’hui ou il y a cinquante ans ? Elle est hypnotique, baignée dans des halos presque pastel. Joana Hadjithomas scelle, quant à elle, des poèmes sous verre, comme autant de présages à déchiffrer.
Il y a bien plus d’œuvres que celles évoquées ici. Elles ne sont que quelques exemples illustrant la justesse de cette exposition, qui invite à habiter l’incertitude, à en faire une matière à création et à réflexion. Un voyage à la croisée de l’art et de la science, du probable et du possible, où l’on se divertit tout en se questionnant, en très bonne compagnie.
Ce que l’horizon promet du 12 mars au 28 septembre.
Fondation groupe EDF – 6, rue Juliette Récamier – 75007 Paris. Entrée libre du mardi au dimanche sur réservation, de 12h-19h (sauf jours fériés). Nocturne le jeudi jusqu’à 22h.
Visuel : Adagp, Paris, 2025.
Photo : © Sylvie Léonard / Les Abattoirs, musée Frac Occitanie, Toulouse