Le Dit du Genji , une histoire hors du temps

par Laetitia Larralde
28.11.2023

Cet hiver, laissez-vous conter l’histoire du Dit du Genji au musée Guimet et découvrez les origines de la culture japonaise. De l’époque Heian à aujourd’hui, suivez un récit fondateur toujours actuel.

: Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. MA567.

: Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. BG3566.

: Yamaguchi Itarô (1901-2007). Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. MA12236.

En France, quand on évoque le Japon et sa culture, on pense aux mangas, aux estampes, à sa cuisine, aux geishas ou aux samouraïs. Depuis la grande vague du Japonisme qui emporta les artistes européens au XIXème siècle, au moment où le Japon rouvrait ses frontières, la culture japonaise fascine. Mais l’esthétique et la culture de l’époque Edo (1600-1868) sont tellement présentes dans nos imaginaires qu’elles occultent quelque peu les autres périodes. Avec cette exposition autour du Dit du Genji, le musée Guimet nous donne l’occasion de découvrir l’époque Heian (794-1185) et les origines de l’identité culturelle japonaise.

Heian, une époque méconnue

Si Edo est l’ancien nom de Tokyo, Heian est celui de Kyoto. C’est là que l’empereur et sa cour vivent fastueusement, dans un raffinement en vase clos, coupés du reste de la population et, depuis le déclin de la dynastie Tang, de la Chine, qui jusque-là était le modèle absolu. De cet isolement va se mettre en place une culture distinctement japonaise avec l’invention d’un système d’écriture cursive, le développement du bouddhisme, et l’âge d’or de la poésie, de la littérature et de la peinture de style Yamato-e.

Les différences entre les périodes Edo et Heian sont nombreuses, bien que l’une soit à l’origine de l’autre. En effet, durant l’époque Heian l’empereur et sa cour dominaient depuis Kyoto, les femmes y avaient de l’importance et l’élégance et la finesse dictaient les règles des divers jeux dispendieux de la cour. Quelques siècles plus tard, sous la domination guerrière des shoguns établis à Tokyo, les femmes sont reléguées en arrière-plan et la frugalité règne, mais le pays est en paix, permettant aux artistes et artisans de porter leur art vers la perfection.

Parmi les grandes poétesses de l’époque Heian, Murasaki Shikibu a donné vie au Dit du Genji (Genji monogatari), un roman écrit autour de l’an 1000 considéré comme l’un des récits fondateurs de la culture japonaise. La cour impériale est alors à son apogée, et Murasaki Shikibu, aristocrate, en témoigne dans ses écrits, dressant un portrait à la fois social et psychologique. Car si les femmes sont écartées de la politique, leur temps n’est pas contraint et elles l’occupent par l’art, la religion, l’étude ou les intrigues et les galanteries, ce qu’elles peuvent ensuite retranscrire librement grâce aux kana, une nouvelle écriture plus adaptée à la langue japonaise. Ainsi, dans le Dit du Genji, Murasaki Shikibu raconte l’histoire d’un prince impérial qui ne peut prétendre au trône, Hikaru Genji, beau, poète, charmeur, à la recherche de la femme idéale.

Le Dit du Genji inspire tous les arts

Depuis plus de mille ans, la renommée du Dit du Genji ne faiblit pas. Le roman a servi de source d’inspiration à de nombreux artistes, de par ses nombreuses scènes au contexte minutieusement mis en place et ses personnages dépeints avec intelligence et sensibilité. En rouleau illustré, coffret de laque, palanquin peint, estampes ou encore mangas, les adaptations et inspirations ont été variées, et le sont encore aujourd’hui. Le musée Guimet nous en fait découvrir ici une des plus extraordinaires, celle que Maître Itarô Yamaguchi a passé plus de trente ans à réaliser pour en faire don au musée Guimet : la reproduction tissée de quatre rouleaux illustrés et calligraphiés du XIIème siècle du Dit du Genji.

Maître Itarô Yamaguchi était un tisserand du quartier Nishijin de Kyoto, le quartier historique du tissage de la soie de la plus haute qualité. En lien avec la France, plus précisément les fabricants de soie de Lyon, depuis le milieu du XIXème siècle et l’importation de vers à soie japonais, les artisans de Nishijin, toujours à la pointe de la technique, décident d’importer des métiers Jacquard français pour pourvoir améliorer leur productivité. En quête de perfection et pour tirer le meilleur de toutes les techniques de tissages, Maître Itarô Yamaguchi combine des méthodes du monde entier et de toutes les époques pour arriver à un prodige de minutie et de délicatesse concentré dans ces quatre rouleaux tissés.

Tout comme pour la précédente exposition Médecines d’Asie, la scénographie a été pensée de façon immersive. On retrouve les codes de l’architecture japonaise avec ses éléments près du sol, ses matières naturelles ou la pénombre nécessaire pour faire ressortir les ors, mais également une pièce entièrement tapissée de pages de manga. De plus, on peut retrouver les senteurs de l’époque Heian, notamment utilisées dans la pratique du kôdô, la voie des parfums, pour ouvrir une nouvelle voie à notre imagination.

Pour compléter votre visite et mettre en perspective cette vision du Japon ancien, ne manquez pas l’exposition de photographies de Pierre-Elie de Pibrac au 2^ème étage. Il nous y montre le résultat de huit mois passés au Japon à la recherche de la représentation du sentiment d’impermanence. En rencontrant des personnes en rupture avec la société, il crée un portrait fragile et mélancolique entre grands paysages, intimité et natures mortes. Après la magnificence de la cour de Heian, la beauté éthérée de ces photographies achève de nous emporter dans un récit au cœur de l’âme japonaise.

A la cour du Prince Genji – 1000 ans d’imaginaire japonais

Du 22 novembre 2023 au 25 mars 2024

Musée national des arts asiatiques – Guimet – Paris

Visuels :

1- Rouleau tissé du Dit du Genji, Itarô Yamaguchi (1902-2007), MA12236 © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) – Thierry Ollivier

2- Illustration du Dit du Genji, livre XXII : La Parure précieuse (Tamakazura) École Tosa, époque d’Edo, 18e siècle Fragment de feuille de paravent, encre, couleurs, gaufrage (gofun) et feuille d’or sur papier, 26,70 × 24 cm Paris, Musée national des arts asiatiques – Guimet, © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Michel Urtado

3- Cent poètes célèbres du Japon Manuscrit illustré, milieu du 19e siècle Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet, © RMN-Grand Palais (Musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier

4- Itarô Yamaguchi (1901-2007) Rouleau tissé du Dit du Genji, 1986 Soie, filés métalloplastiques doré et argenté, lamelles de papier doré et argenté. Façonné, partiellement double-étoffe, liées en taffetas, sergé et satin trame. Tissé sur métier à mécanique Jacquard, 37,50 × 864,10cm – Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet, don de Maître Itarô Yamaguchi, 1995 Premier rouleau, © RMN-Grand Palais (Musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier

5- Itarô Yamaguchi (1901-2007) regardant ses rouleaux © Akira Nonaka