Le dernier volet du travail de Laia Abril sur la misogynie On Mass Hysteria exposé au Bal

L’hystérie collective, un mystère non résolu, entre travail de documentation et interprétation artistique :

L’exposition de Laia Abril se présente presque sous la forme d’une enquête. Toutes les clefs sont mises entre les mains des spectateur.ices pour comprendre ces cas d’hystérie collective. Son objectif : rendre compte de l’ampleur du phénomène et explorer les réactions des témoins, des victimes et étudier les diagnostics des anthropologues, psychiatres, neurologistes et sociologues. Trois cas, tous contemporains et de pays différents, sont narrés et détaillés entre les murs sombres de trois îlots.

• Cas #1, Épidémie de paralysie des jambes dans un pensionnat catholique pour jeunes filles (2007).
• Cas #2, Épidémie d’évanouissements chez des ouvrières dans des usines de confection cambodgienne (2012-2022).
• Cas #3, Épidémie de tics et convulsions dans un lycée américain (2012).

Accrochés autour des îlots, 68 dossiers d’archives concernant des cas d’hystérie collective dans le monde entier de 1400 à 2023 sont disposés pour être consultés par les spectateur.ices. Un travail de recherche conséquent que l’artiste-chercheuse nuance par son regard subjectif. Comme des sortes de témoignages visuels, les œuvres plastiques réalisées par l’artiste accompagnant ces enquêtes caractérisent son point de vue : des triptyques attestant des paroles de docteurs ou journalistes, des sérigraphies inspirés des rêves et cauchemars des victimes et des collages offrant un éclairage sociologique et anthropologique des trois phénomènes.

Chaque cas est introduit de manière à être élucidé et éclairé, soumettant ces multiples témoignages, et rendant compte du traitement médiatique sexiste et des justifications des autorités. Dans les trois cas, les témoignages se confrontent et se contredisent. Le cas#2 surprend, tant il rentre en contradiction avec les croyances en la science et qu’une dimension spirituelle s’accapare des témoignages. Les victimes racontent leurs rêves et leurs visions où apparaissent les fantômes des ouvrières mortes à causes des conditions de travail insoutenables ou ceux des victimes des massacres des Khmers rouges. Les usines de fabrication étant construites sur les terrains où ces massacres ont été perpétrés, l’hypothèse d’un traumatisme transgénérationnel est envisagée.

Une hypothèse : le proto-langage de protestation :

Le constat est frappant. Ces cas d’hystérie collective arborent en très grande majorité un aspect systémique. Chaque environnement, malgré les différences culturelles et fonctionnelles, présentent des spécificités et des similitudes. Un contrôle social sur ces adolescentes et ces femmes est constamment opéré par des autorités, les victimes subissent des maltraitances et vivent dans des conditions inhumaines et stressantes.

Ainsi, après l’écoute des témoignages et l’analyse des discours journalistiques et médicinaux, aucune réponse ne paraît convaincante. Bien que son point de vue est clair tout au long de l’exposition, ce n’est qu’à la fin de l’exposition que Laia Abril dévoile son hypothèse : un proto-langage de protestation. Ces cas d’hystérie collective pourraient être l’expression physique d’une résistance collective à un système oppressif. Par une installation vidéo, l’artiste met en correspondance des vidéos de cas d’hystérie collective avec des vidéos de mobilisations féministes internationales. Apparaissent alors des images de femmes criant leurs droits, leurs espoirs ou leur colère. Encore aujourd’hui traitées d’hystériques, elles continuent, collectivement, de se battre pour toutes. Ça a été le cas des militantes féministes, venues soutenir Gisèle Pélicot au procès Mazan lorsque l’avocat Christophe Bruschi les traite d’«hystériques» et de «mal embouchées».

La colère de ces femmes, transformée en résistance, en force de lutter, apparaît à la fin de l’exposition comme une énergie forte, capable de renverser les débats et les combats sociaux. Le terme, aux significations culturelles multiples et complexes, se rapporte à l’individu ou à un collectif d’individus. Laia Abril s’approprie le terme misogyne et réducteur « hystérie », l’explore, le remanie et finit par le transformer. On sort de l’exposition non pas choqué.es, mais « hystériques », fortes et fières.