L’exposition que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) consacre à la figure du dibbouk traverse 120 ans de mythe pour exprimer toute la tendresse et la créativité d’une tension vers un monde disparu.
Un dibbouk, c’est l’âme d’un être proche qui n’a pas trouvé le repos dans la mort et qui reste attaché à un vivant. Il n’est pas forcément malin, cet esprit. Mais il est là. En 200 documents, l’exposition du mahJ interroge cette figure et son inspiration dans les arts du XXe et du XXI siècle, avec deux commissaires : le journaliste spécialisé dans le cinéma Samuel Blumenfeld et la conservatrice du musée, Pascale Samuel. Ensemble, en mettant vis-à-vis des extraits du Dibbouk, le film de 1937 de Michal Waszynski restauré par Lobster Films, et des tableaux de Marc Chagall, ils nous parlent de fantômes juifs européens de l’Est qui n’ont pas fini de s’attacher à nous.
Alors que le dibbouk arrive à la postérité avec la pièce russe de Shalom Anski (1912-1914), le mahJ nous rappelle que ce dernier est parti en mission en 1908 pour la société d’histoire et d’ethnographie aux abords de l’Empire russe pour préserver les traces de la vie des communautés juives menacées par l’industrialisation. C’est là qu’est née en germe la pièce traduite en yiddish et qui a fait les riches heures du théâtre yiddish, puis en hébreu par le grand Haïm Nahman Bialik. Elle a d’ailleurs été à l’origine de la fondation de la première troupe de théâtre israélienne, la Habima. Qui l’a emmenée jusqu’à New York. Où elle n’est pas passée inaperçue…
Aux États-Unis, l’œuvre a inspiré Leonard Bernstein et Jerome Robbins pour West Side Story. Ils ont même fini par en faire un ballet, Dybbuk. Quant à Sidney Lumet, le réalisateur de Douze hommes en colère, il en a même fait un épisode de série pour la télévision américaine. Du côté européen, la figure du dibbouk hante particulièrement la Pologne vidée de ses juifs (10 % de la population du pays avant la guerre) par la Shoah. Andrzej Wajda en 1988, Krzysztof Warlikowski en 2003 aussi bien que Maja Kleczewsca (sur un texte de la grande écrivaine Hanna Krall) le mettent en scène et l’interrogent.
En revoyant des extraits de A Serious Man des frères Coen, aussi bien qu’en regardant le triptyque de Sigalit Landau, Trois Visions du dibbouk, la référence est passée avec ses traits expressionnistes et son âme habitée dans notre culture populaire. On se rend compte que nous avons peut-être chacun et chacune un dibbouk qui nous habite. Comme la petite musique d’une âme et d’une histoire qui ne voudraient pas se laisser oublier.
Magnifiquement scénographiée, riche d’archives et de références qu’on n’avait pas en tête, l’exposition du mahJ se visite avec joie et lenteur.
Visuel (c) Michał Waszyński, Le Dibbouk, Pologne, 1937, 98 min – FPA CLASSICS (Lobster Films Collection)