« Landscaping », les sursaturations naturelles d’Eszter Salamon à la Biennale de la danse de Lyon

Le meilleur plan chill de la Biennale

Le rythme de la Biennale est intense : quarante spectacles, des workshops, des ateliers, disséminés dans toute la métropole. Il faut enchaîner métros et tramways, marcher beaucoup. Et au milieu de ce tumulte, il y a le temps calme que nous propose Eszter Salamon. Rendez-vous dans l’écrin de la Cité Internationale de la Gastronomie, située dans un ancien hôpital aux allures de cloître médiéval. À l’étage, derrière un rideau à tirer, une salle boisée très chic s’ouvre sur un espace à contre-courant. Devant vous, deux écrans en split screen : la vidéo de gauche ne rencontre pas celle de droite. Au sol, d’immenses coussins sur lesquels se vautrer allègrement.

Deux mondes à rassembler

À gauche, un peuple orange. À droite, un peuple bleu. Les premiers évoluent au bord de la mer, à flanc de falaises escarpées. Les seconds habitent une forêt verdoyante. L’image est envoûtante, les couleurs sursaturées, donnant à la nature comme aux interprètes une impression de collage, une juxtaposition presque irréelle.

Mais avant de raconter davantage, arrêtons-nous sur ce projet d’envergure. Coproduit par Carte Blanche, la Biennale de la danse de Lyon, le Centre Pompidou et plusieurs institutions norvégiennes et françaises, le film, tourné près de Bergen, a été réalisé par Eszter Salomon elle-même, le directeur de la photographie est Mathias Pollak et la musique est de Carmen Villain, le montage d’Augustin Muller et la recherche sonore a été menée avec l’Ircam. Tout cela permet aux interprètes de la compagnie Carte Blanche – Aslak Aune Nygård, Brecht Bovijn, Caroline Eckly, Dawid Lorenc, Gaspard Schmitt, Ihsaan de Banya, Irene Vesterhus Theisen, Mai Lisa Guinoo, Manon Campion, Nadège Kubwayo, Naomi Schouten, Noam Eidelman Shatil et Ole Martin Meland d’apparaître comme des figures surgies d’une série dystopique.

Insectes bleus, sorcières oranges

Du côté de la forêt, les corps agissent comme des insectes, parfois comme des serpents glissant entre branches et feuillages. Ils deviennent des apparitions bleu-nuit qui tranchent avec le calme du vert. Du côté de la falaise, les costumes orange flambent encore plus vivement sur la pierre grise. Le groupe évolue debout, dans des allures de sorcières.

Le film étant conçu comme une boucle, il ne se pense pas en termes de dramaturgie avec un début et une fin. On peut y entrer à tout moment et y tisser ses propres fils. Par exemple, quand les “oranges” manipulent des miroirs, on a envie de croire qu’ils envoient des signaux – non pas de détresse mais d’invitation – à l’autre peuple. Et lorsque l’eau surgit dans la forêt sous forme de cascade, là encore, on se plaît à imaginer que la carte a été reçue.

Une esthétique hypnotique

Cet objet propose une nouvelle forme de relation possible entre l’humain et la nature. Des humains qui n’en sont plus vraiment, avançant vêtus de matières recyclées, le visage masqué de grands casques fantastiques. On repère des matériaux chinés sur des chantiers, comme ce plot orange transformé en nez proéminent. À regarder, c’est hypnotique, fascinant, terriblement esthétique.

Le geste chorégraphique rappelle celui de Monument 0.10 : des transfigurations successives, un fondu enchaîné lent, proche de Lia Rodrigues. Les images se sculptent en même temps qu’elles existent.

Mais il y a aussi une ironie terrible : face à un coucher de soleil en pleine golden hour, on oublierait presque que nous sommes dans une boîte noire à regarder la nature sur écran. Car Landscaping, en déplaçant la danse dans des lieux « inappropriés », nous rappelle l’urgence de porter sur eux un regard écologique éveillé.

English summary

As part of the Constellations programme of the Centre Pompidou, Eszter Salamon presents Landscaping at the Lyon Dance Biennale, alongside her masterpiece Monument 0.10. Conceived as an immersive video installation directed by Carmen Villain and performed by the Norwegian company Carte Blanche, the work unfolds in two parallel worlds: one orange, one blue. Surreal landscapes and over-saturated colors frame performers who resemble hybrid beings, part human, part elemental. With its looping dramaturgy, the piece invites audiences to enter at any moment and weave their own narratives. Hypnotic and ironic at once, Landscaping questions how humans might reimagine their relationship with nature, and reminds us of the urgency of ecological awareness.