Le musée d’Aquitaine de Bordeaux nous invite à tourner notre regard vers l’art de la préhistoire et à questionner les origines de la création, tout en soulignant toutes les découvertes qu’il reste encore à faire.
L’archéologie est une science qui date du milieu du XIXe siècle et qui n’a eu de cesse d’être remise en question, renouvelée et aujourd’hui soutenue par les nouvelles technologies. Le problème de la datation des découvertes est le premier à survenir : comment détermine-t-on avec certitude l’âge d’un objet ou d’une peinture, quand les échelles de temps se comptent en milliers d’années ? Et comment peut-on être sûr que nous ne sommes pas en présence de faux ? Si les progrès de la science nous permettent d’avoir aujourd’hui plus de certitudes sur les données purement factuelles, tout en gardant à l’esprit que les évolutions suivantes pourraient tout remettre en cause, ils ne nous éclairent pas pour autant sur la portée symbolique des créations.
L’exposition se concentre sur la sphère culturelle qui s’étend du Portugal à la Méditerranée, de chaque côté des Pyrénées, en passant par le nord de l’Espagne. Cette zone a été déterminée en comparant l’emplacement des gisements de silex par rapport aux sites où ils ont été trouvés, délimitant ainsi une zone d’échanges entre les populations, tant matériels que culturels. Si l’on considère aujourd’hui que l’art est apparu avec l’Homo sapiens, l’homme moderne (-45 000 ans), certaines études amèneraient à élargir la période jusqu’à Néandertal (-250 000 ans). L’expression artistique, qui différencie l’Homme des autres espèces, pourrait donc être constitutive des sociétés depuis des centaines de milliers d’années.
L’exposition se pose également la question des limites de ce que l’on peut considérer comme étant de l’art. Puisque le but des créations préhistoriques nous échappe faute de témoignages directs, il est difficile d’appliquer nos classifications actuelles qui séparent l’art, l’artisanat et leurs multiples sous-divisions du reste de la production humaine, d’autant plus que la création préhistorique était bien plus restreinte. Si l’on considère facilement que toute représentation figurative est de l’art, qu’en est-il des motifs géométriques ? Un silex taillé est certes un outil, mais sa symétrie ne dénote-t-elle pas une volonté symbolique ou esthétique, comme pour le design ?
Le musée d’Aquitaine, qui a bénéficié pour cette exposition de nombreux prêts de musées de France, d’Espagne et du Portugal, a poussé sa réflexion sur l’équilibre à trouver entre la conservation, la recherche et la restitution au public. Ainsi, de nombreux fac-similés sont exposés aux côtés d’originaux et l’on trouve même une imprimante 3D qui reproduit en série un petit objet préhistorique. Le musée a également invité des étudiants des Beaux-Arts à repenser la tradition de la fresque de reconstitution historique au sein de l’exposition. Et enfin, le parcours a été imaginé à plusieurs niveaux d’accessibilité avec des bornes ludiques et d’autres multisensorielles. Ainsi, l’archéologie, qui peut sembler difficile d’accès, est abordable par le plus grand nombre.
Les avancées de la science nous feront sûrement découvrir d’autres éléments, d’autres couleurs issues de végétaux par exemple, qui apporteront peut-être un nouvel éclairage sur l’art préhistorique et de nouvelles clés pour décoder sa signification. L’art était-il lié à des croyances, était-ce un porte-bonheur, un marqueur social ou le support de mythologies communes ? Il restera dans tous les cas un reflet de la société qui l’a créé. On le constate avec le réchauffement climatique de la fin du Paléolithique, qui a entraîné des modifications sociales et donc changé la façon de voir le monde et de le représenter. Ainsi, la figuration va quasiment partout s’effacer pour laisser place à l’abstraction géométrique, une façon de penser le monde que l’on retrouvera au XXe siècle, quelques milliers d’années plus tard.
Le musée d’Aquitaine nous offre une belle occasion de nous connecter à nos si lointains et énigmatiques ancêtres qui ont si bien maîtrisé la simplification géométrique, montrant une vision synthétique et abstraite du monde. Pas si loin de nous, en fin de compte.
L’art préhistorique, de l’Atlantique à la Méditerranée
Du 25 mai 2023 au 07 janvier 2024
Musée d’Aquitaine – Bordeaux
Visuels :
1-Tête de biche et deux poissons (La Vache, Alliat, Ariège) © musée d’Archéologie nationale – domaine national de Saint-Germain-en-Laye
2- Bison (Covaciella, Berodia, Asturies) © M. et M.-C. Groenen
3- Bouquetin gravé (Quinta de Barca, Portugal) © M. et M.-C. Groenen
4- Pendeloque en forme de tête de cheval (Abri Duruthy, Sordes-l’Abbaye, Landes) – Collection du site départemental de l’Abbaye d’Arthous © Aurélien Simonet
5- Expo L’art préhistorique, photo L. Gauthier, mairie de Bordeaux