La lumineuse beauté des toiles de Georges de La Tour

Une rétrospective remarquable

Après les expositions consacrées au Caravage en 2018 et à Artemisia Gentileschi en 2025, le musée Jacquemart André poursuit son exploration de la révolution caravagesque qui s’impose dans toute l’Europe au début du 17ᵉ siècle. Georges de la Tour a été influencé par le Caravage même s’il ne s’est peut être jamais rendu en Italie. Il a aussi été marqué par la peinture flamande. De la vie de Georges de La Tour (1593- 1652) nous ne savons que peu de choses. Il est né à Vic sur Seille près de Metz dans une famille de boulanger. Après son mariage en 1617, il s’installe à Luneville dans le duché de Lorraine, alors indépendant. Il travaille pour les ducs de Lorraine et acquiert richesse et notoriété. Son atelier étant détruit en 1638 lors de la guerre de Trente ans, il gagne Paris et devient « le peintre ordinaire » de Louis XIII. Après sa mort en 1652, ses œuvres sont dispersées et il tombe dans l’oubli pour n’être redécouvert qu’en 1915 grâce au tableau « Le reniement de Saint-Pierre » que l’on peut voir à l’exposition.
Seule une quarantaine d’œuvres de Georges de la Tour nous sont parvenus. La rétrospective du musée en rassemble une trentaine, un véritable exploit! Il s’agit essentiellement de peintures de Georges de la Tour, mais aussi de ses contemporains et de quelques dessins. Un double et majestueux escalier, tout en marbre et dorures, conduit aux huit salles de l’exposition. Le parcours est thématique avec des explications claires, une biographie et une fresque chronologique. Un film est proposé aux visiteurs dans l’entrée. Les salles sont petites et malgré un filtrage bien organisé à l’entrée, il y a beaucoup de monde. Le visiteur pourrait peut-être privilégier le mardi ou les fins d’après midi qui seraient les heures de moindre affluence.

Le peintre de la réalité

Georges de La Tour est surtout connu pour ses clairs obscurs, mais il s’avère avoir été un fin observateur de ses contemporains. Il s’intéresse aux personnes marginales, les mendiants, les musiciens ambulants, les vieillards. Il les peint avec un total réalisme et une précision presque calligraphique, montrant des corps de vieillard, des vêtements usés, des visages burinés. Mais par le soin apporté aux détails, par la qualité de la lumière, il procure une dignité aux plus humbles. L’exposition montre quelques dessins dont le seul attribué à Georges de La Tour est un homme en prière. Il a pu être influencé par les artistes lorrains tels Jacques Callot et Jacques Bellange dont nous voyons plusieurs estampes. Le joueur de vielle de Jacques Callot a manifestement inspiré le Vielleur à la sacoche de Georges de la Tour : le musicien est aveugle, il s’appuie sur son instrument. Il n’est pas misérable,il reste digne dans son dénuement. Le réalisme est manifeste dans Les mangeurs de pois (1620), les traits sont marqués, les vêtements rapiécés, le poids d’une existence difficile manifeste. Les bustes de saints révèlent le talent de portraitiste de Georges de la Tour. Les visages et les postures sont très expressifs. Le visiteur pourra déceler l’inquiétude dans le regard de St Jacques, la sévérité dans le visage de St Thomas, l’assurance dans celui de St Grégoire. Il sait magistralement mettre en scène un drame psychologique : ainsi dans Job raillé par sa femme il nous montre un vieillard au corps fragile, qui regarde sa femme avec inquiétude, perplexité. Une seule bougie au centre du tableau éclaire la scène, lui conférant une intimité poignante.

De la nuit naîtra la lumière

« Ce n’est pas l’obscurité que peint Georges de la Tour : c’est la nuit. Il est le seul interprète de la part sereine des ténèbres » écrivait André Malraux. Dans son parcours artistique, la lumière, surtout artificielle, va prendre une importance croissante. Il devient « un peintre de la flamme ». Cette flamme, cette lumière qui naissent des ténèbres, deviennent la représentation de la transcendance, du divin. Georges de la Tour développe son interprétation personnelle du clair obscur caravagesque. Il le transforme par son réalisme, son intensité spirituelle. Loin des extases baroques, ses œuvres religieuses sont empreintes d’harmonie, elles nous montrent, comme dans la Madeleine pénitente, une méditation silencieuse, solitaire et plutôt sereine.
Le visiteur pourra admirer la beauté parfaite du Souffleur de pipe, l’élégance des vêtements, la perfection du visage magnifiquement éclairé. La fillette au brasero nous montre une scène totalement banale, une jeune fille qui cuisine. Elle est transfigurée par l’éclairage, le clair obscur pourrait presque l’élever au rang d’icône. Ce virtuose de la lumière va nous émouvoir. Ainsi dans Saint Pierre pénitent, le saint est éclairé par une seule lanterne posée sous la table. Dans cette demi obscurité le visiteur peut ressentir la détresse du saint, ses regrets, ses remords. Ses larmes en témoignent. Le nouveau né est aussi une scène de la vie quotidienne transcendée par la lumière qui lui confère sa dimension sacrée. Nous sommes émus par l’harmonie et la tendresse qui émanent du tableau. Marie est pensive, recueillie, mais Sainte Anne protège de sa main l’enfant de la lumière pour qu’il ne se réveille pas. Cette grande douceur nous rassure, nous procure une sensation de paix.
Les toiles de Georges de la Tour nous touchent par leur évidente beauté, le sens des détails, leur caractère épuré, voire dépouillé. Quelque part, elles restent « modernes » malgré les siècles écoulés. Et après tant de beautés, le visiteur pourra se délasser dans le salon de thé du musée entre ses lumières tamisées et ses tapisseries murales ou dans la véranda face à la rotonde.