La nouvelle exposition de la Bourse de Commerce – Pinault Collection, Corps et Âmes propose jusqu’au 25 août prochain un dialogue saisissant entre chair et esprit, visible et invisible. Une traversée sensorielle qui interroge la mémoire, la transformation et la résilience des corps.
L’exposition Corps et Âmes à la Bourse de Commerce se pose comme un voyage sensoriel et philosophique, explorant la représentation du corps dans l’art contemporain. Entre matérialité brute et évocation spirituelle, elle nous invite à interroger les liens entre chair et âme, visibles et invisibles.
Puisant dans la richesse de la collection Pinault, l’exposition réunit une centaine d’œuvres de figures majeures comme Rodin, Arthur Jafa, Ana Mendieta ou Marlene Dumas. Un éclairage sur la manière dont l’art contemporain interroge l’identité corporelle et sa transformation.
Dès l’entrée, le visiteur est happé par Love is the Message, the Message is Death d’Arthur Jafa, une installation vidéo monumentale qui transforme la Rotonde en un espace vibrant. Ce film-choc, entre images d’archives et puissantes figures de la culture afro-américaine, instaure un dialogue entre engagement et transcendance.
L’exposition se déploie ensuite en plusieurs sections, chacune mettant en lumière une facette du corps. Le corps témoin est celui qui porte en lui les stigmates de l’histoire et les luttes sociopolitiques. Il devient une archive vivante, un miroir des violences et des résistances. Plus loin, le corps exposé s’affirme dans une réinvention du nu, déconstruisant les normes esthétiques et identitaires. Enfin, l’âme au corps marque une dissolution de la matérialité, ouvrant la voie à une dimension plus symbolique et spirituelle. Dans la Galerie 3, l’exposition met également en avant le travail de Deana Lawson, dont les photographies questionnent la représentation du corps noir à travers une mise en scène minutieuse.
Le visiteur est accueilli par le monumental Meine neue Mütze (2003) de Georg Baselitz, une sculpture en bois de cèdre, qui renverse les codes de la représentation du corps. Son autoportrait inversé, qui défie la perception et questionne l’identité, résonne avec force avec l’installation monumentale du dernier étage, Avignon (2014), série de huit toiles où dansent des figures humaines, disloquées et flottantes, exprimant à la fois la fragilité et la brutalité du geste artistique d’un Baselitz au crépuscule de sa vie.
Les œuvres de Marlene Dumas ponctuent l’exposition et explorent la vulnérabilité et l’intimité du corps féminin à travers une peinture expressive et fluide. Sa toile Birth (2018) capture des figures à la frontière de l’abstraction, mêlant tension et douceur.
Arthur Jafa, en plus de Love is the Message, the Message is Death, propose avec AGHDRA (2021) une œuvre saisissante où la matière semble en perpétuel mouvement, un flot dense et informe oscillant entre abstraction et chaos. « J’ai toujours été fasciné par la manière dont certaines formes naturelles – les vagues, les cicatrices, les reliefs – se rejoignent visuellement. » explique Jafa. «Dans AGHDRA, je voulais explorer cette continuité entre le corps et le paysage, entre la mémoire et la matière.» Dans ce film d’une noirceur étrange et abyssale, des images de textures inconnues, presque organiques, se succèdent lentement, évoquant à la fois une planète en décomposition et un espace interstellaire en mutation. Cette vision nous plonge dans une expérience hypnotique où le temps et l’espace semblent dissous, offrant une réflexion poignante sur l’instabilité du monde contemporain et notre relation aux images en mouvement.
Ana Mendieta et Deana Lawson, quant à elles, réinvestissent les figures longtemps invisibilisées par l’histoire de l’art, inscrivant le corps dans une quête d’émancipation et de mémoire. Deana Lawson, en particulier, construit des images où le quotidien se pare d’une aura mythologique. Chaque détail, du décor aux postures de ses modèles, est soigneusement orchestré pour créer des portraits qui transcendent le documentaire et se rapprochent d’une vision iconique du corps noir.
Dans la galerie 4, la confrontation entre Philip Guston et Duane Hanson oscille entre grotesque et hyperréalisme, mettant en scène des corps marqués par la société et les traumatismes contemporains.
Plus loin, on découvre l’installation RITUALS de Miriam Cahn qui explore la corporalité sous un prisme émotionnel et symbolique. Cette série, réalisée en réaction à la perte de son père, traduit une réflexion intime sur la disparition et la mémoire. Ses figures, souvent esquissées dans des teintes vives et troublantes, semblent flotter entre le visible et l’invisible, évoquant un état de métamorphose où l’individualité se dissout dans une matière vibrante et incandescente, comme un écho à l’absence et au deuil.
Ali Cherri interroge le statut du corps muséifié et des artefacts culturels, témoins de civilisations passées et présentes. Ses œuvres, disposées dans les 24 vitrines du passage, évoquant les 24 images par seconde d’un zootrope, créent une illusion de mouvement, transformant chaque pièce en fragment d’un film suspendu. « On a des objets qui retournent notre regard, mais aussi qui nous regardent, dans le sens où ça nous concerne. » précise Ali Cherri. La référence au cinéma s’intensifie en écho au film Le Sang d’un poète de Jean Cocteau, où les statues semblent s’animer, abolissant les frontières entre l’inerte et le vivant. Cherri nous pousse ainsi à questionner ces artefacts : sont-ils de simples vestiges ou des témoins toujours vivants d’histoires en perpétuelle évolution ?
Corps et Âmes ne se contente pas d’aligner des œuvres : elle orchestre un dialogue entre elles, dessinant un engagement politique et une quête esthétique.
Pendant toute la durée de l’exposition, une programmation musicale prolongera cette exploration du corps en mouvement, faisant de Corps et Âmes une expérience immersive et polysensorielle.
Cette exposition nous rappelle que le corps, en art, est toujours une question de regard et de mémoire. Une réflexion poignante sur la manière dont les artistes contemporains réinventent la chair et l’invisible, qui nous invite à repenser notre propre rapport à l’incarnation.
Visuel : © DH