Kiki Picasso tire le bilan graphique au siège du Parti communiste français
par Nicolas Villodre06.05.2024
Pierre Laurent, ancien secrétaire national du PC, résume dans sa préface du catalogue l’événement artistique, politique et culturel que représente cette expo de début mai dans l’espace Niemeyer, place du Colonel Fabien, dans le cadre de Libres comme l’art : «Il fallait oser et Kiki Picasso l’a fait ! Son bilan provisoire, cinquante événements, un par an, en cinquante tableaux peints, transforme le voyage dans ce demi-siècle écoulé en une rétrospective pleine de couleurs ».
Underground
Avec ses toiles de grand format, pour la plupart en paysage, Kiki Picasso, nom de pinceau de Christian Chapiron, occupe le vaste espace Niemeyer. Contrairement au Centre Pompidou, le siège du PC n’a nul besoin d’être restauré ou retapé tous les vingt ans. Certaines œuvres de ce grand architecte brésilien justifient à elles seules un détour par les villes qui les ont accueillies, aussi bien la Maison de la Culture du Havre que le Centre culturel d’Avilès tout en rondeurs qu’il nous a été donné de visiter. En circulant dans les sous-sols de Colonel Fabien, on peut entrevoir le spectaculaire dôme faisant office de salle de réunions et de congrès, démarqué du Panthéon de la ville éternelle – les réflecteurs de lumière Op art en alu dissimulant le béton.
L’après-midi où nous étions, le peintre faisait la visite guidée à une spectatrice privilégiée : sa mère. De Picasso (aka Pablo Ruiz qui, lui-même, avait pris pour nom d’artiste le patronyme de sa génitrice), ne retient ni une manière ni une période particulière, mais deux éléments propres à la révolution cubiste : l’esprit de collage cher à Aragon et les éclats géométriques colorés qui donnent à la forme une relative autonomie par rapport au fond, cisèlent et agrémentent la composition sans en briser la figuration. Toujours est-il que l’aspect criard des œuvres peut en agacer plus qu’un – ou une. Peints à l’acrylique, les tableaux morcellent corps et décors, usent de couleurs acides, de jaunes pétard, de bleus électriques, de tons fluos ou phosphorescents posés en aplat, sans velléité matiériste déifiant la patte artiste.
Histoire de la peinture et peinture d’histoire
Certaines toiles nous touchent bien sûr plus que d’autres. On pense à la dislocation de l’URSS, évoquée sous forme de composite de diverses images (bambins enfants de troupe, buste de Lénine qu’on déboulonne, mot perestroïka écrit en cyrillique, marin tirant sur une Palmyre du Nord, playboy en lunettes noires, torse-nu, ressemblant à Poutine…); le Sommet de Rio de 1992 donne lieu à une vision apocalyptique de l’état du monde ; le premier vol du Concorde en 1969 est peint comme une pochette de disque de Kraftwerk; Pour l’année 1972, deux événements somme toute distincts sont ironiquement associés, la naissance de Zidane et celle du Front national ; une scène à la Gauguin traite de la reprise des essais nucléaires à Mururoa par Chirac en 1995…
Le spécialiste du groupe Bazooka co-fondé par Chapiron, Éric de Chassey, à qui l’on doit l’exhibition Euro-punk de 2014, écrit dans le catalogue de l’exposition (épuisé en raison sans doute de son succès) : « le plus grand peintre d’histoire s’appelant Picasso n’est pas Pablo mais Kiki. » Il précise que les images sources empruntées (pour ne pas dire détournées, façon situationniste) aux médias par décalque ou projection. Combinées avec d’autres, elles conservent néanmoins leur lisibilité. Elles illustrent – l’artiste peintre Kiki Picasso reste un illustrateur – les événements marquants, de 1969 aux années 2000, et ont été quelquefois réalisées avec un décalage de plusieurs années. Pour Éric de Chassey, les œuvres de Kiki Picasso sont bel et bien adaptées à « la situation de confusion qui est la nôtre ».
Visuel : Kiki Picasso devant sa toile de 1999 sur la catastrophe du pétrolier Erika, au large du Finistère © Nicolas Villodre
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