Isao Takahata, génie discret de l’animation japonaise

Si  la MCJP n’a quasiment jamais fait d’exposition sur l’animation, elle se rattrape aujourd’hui en rendant hommage à la carrière de l’une des figures iconiques de l’animation japonaise : Isao Takahata (1935-2018). Fondateur du mythique Studio Ghibli en 1985 avec Hayao Miyazaki et Toshio Suzuki, il a passé ses quelques cinquante années de carrière à pousser l’animation vers de nouveaux styles graphiques, de nouvelles façons de travailler, de nouveaux publics.

Aujourd’hui, ses films sont connus internationalement. Que ce soit pour la délicatesse du dessin comme fait au crayon et à l’aquarelle du Conte de la princesse Kaguya, l’humour sur fond de message écologiste de Pompoko ou l’histoire absolument déchirante du Tombeau des lucioles, chacune de ses réalisations reste dans les mémoires. Son nom est certes un peu moins connu que celui d’Hayao Miyazaki, mais son travail a été tout aussi essentiel pour l’animation telle qu’elle se conçoit de nos jours.

L’exposition retrace de façon chronologique son parcours dans le dessin animé, de ses débuts chez Tôei Animation jusqu’au Studio Ghibli, en passant par les séries animées telles que Heidi, diffusée au début des années 1980 en France. Si la première salle fait la part belle aux documents manuscrits (malheureusement non traduits), l’image prend peu à peu le dessus pour culminer avec des extraits du Conte de la princesse Kaguya, la dernière œuvre d’Isao Takahata. Car celui-ci est avant tout un réalisateur, un metteur en scène dédié entièrement au dessin animé : son talent repose dans sa capacité à donner vie à ses projets, entouré d’une équipe de dessinateurs, animateurs, décorateurs,  musiciens…

Dès ses débuts chez Tôei, où l’on retrouve les prémisses de Kaguya, il met en place une organisation du travail où chaque membre de l’équipe peut participer aux différents aspects du projet, favorisant ainsi la créativité de tous. Le processus du layout, une suite de dessins définissant les attitudes des personnages, le cadrage ou encore le paysage, s’impose par la suite comme un élément essentiel de la production permettant l’unité et la cohérence visuelle des œuvres. Cette étape s’ajoute à celles du scénario, du storyboard et de la conception graphique des personnages et des décors, ce qui souligne, s’il en était besoin, la quantité astronomique de travail nécessaire à la réalisation d’un film.

L’exposition présente toutes les pièces graphiques qui interviennent dans la production d’un anime : planches de storyboard où le dessin s’anime déjà, esquisses de recherche pour les personnages ou les scènes (notons ici les superbes vitrines de Pompoko), images de décor à la gouache, pages de layout, les cellulos devant leurs décors, les notes d’intention… Chaque élément nous plonge dans les coulisses de ces films où chaque détail a son importance, que ce soit le dessin des outils de Heidi, la palette de couleurs moins vive du Tombeau des lucioles ou la minutie des décors de Pompoko.

L’exposition se termine sur Le Conte de la princesse Kaguya (2013), chef-d’œuvre à l’esthétique si particulière. Celle-ci, dont la légèreté et l’apparente improvisation s’oppose aux aplats de gouache dans des contours aux traits uniformes et bien définis de l’animation traditionnelle, est réalisée avec des outils numériques et demande beaucoup de travail pour arriver à cette fausse simplicité du croquis. La recherche a commencé au début des années 1990 avec la volonté de sortir d’un réalisme trop marqué pour revenir à l’essence du dessin, et laisser le trait s’exprimer plus largement.  S’appuyant sur l’art ancien des emakimono (rouleaux peints) où personnages et décors sont dessinés de la même façon et où l’ellipse laisse la place à l’imagination, Mes voisins les Yamada paraît en 1999, hybride entre peinture et manga, dessin à la main et création numérique qui ouvre la voie pour la Princesse Kaguya, où le crayon danse devant nos yeux.

Souvent dans l’ombre de son illustre collaborateur, Isao Takahata a su développer sa vie durant une conception moderne et ouverte de l’animation. L’exposition souligne la cohérence incroyable et la richesse de son œuvre qui, en s’attachant aux détails infimes du quotidien a su émouvoir des générations de spectateurs.