Au festival Circulation(s), la série He plays the Music, We dance de Manuela Lorente est exposée du 5 avril au 1er juin 2025 au Centquatre. Une série qui, de la photographie de rue à la mise en scène explore Madrid et ses particularités, vouées à disparaître.
Un court texte accompagne la série, révélant quelques indices sur l’histoire rocambolesque narrée par les images de Manuela Lorente :
« Des frères délinquants aux airs de truands consacrent leur vie à commettre des vols de moyenne envergure dans leur quartier. Fascinés par les films de gangsters populaires, ils rêvent d’être les personnages de ces films et tentent d’intimider leurs voisins, souvent sans grand succès.
Les frères reçoivent un tuyau qui les conduira en Galice à la recherche de leur meilleur butin à ce jour : une importante cargaison de reliques françaises luxueuses. Ce à quoi ils ne s’attendent pas, c’est de se retrouver par erreur avec une cargaison de cruches et toutes les conséquences que cette action entraînera. »
ML : L’histoire ici est une histoire fictionnelle, mais c’est un projet qui est entre réalité et fiction. La part de réalité, ce sont toutes ces photographies que je prends dans la rue, qui est presque un travail documentaire. Puis la part de fiction, c’est qu’avec ces photographies j’invente des histoires. Ce projet He plays the Music, We dance fait partie d’un projet plus grand encore : Are you who you think you are ?. Il est composé de six histoires qui se trouvent dans ma ville, Madrid. Ici c’en est une, les autres sont différentes histoires de Madrid, de la culture populaire, de la tradition, des relations. Il s’agit d’une réalité très importante pour moi, parce que c’est un projet qui a commencé comme un livre, avec un début, un milieu et une fin. Il y a des portraits de personnes que j’ai photographiés dans la rue, qui sont accompagnés d’un texte, mais qui n’est pas présenté ici.
ML : J’écris les textes, puis je les fais relire à un ami, Pedro Colao León qui donne la forme au texte. Il écrit tous les textes qui accompagnent mon travail. Ces histoires sont comme une excuse pour parler de ma ville, pour représenter Madrid, et tous ces endroits qui disparaissent. Je pense que c’est quelque chose de global, qui se passe dans toutes les villes. Toutes les villes sont les mêmes et trop d’endroits disparaissent. Ce homard sur un toit par exemple, il n’existe plus. Donc j’utilise mon travail comme excuse pour aller dans les rues et documenter ma ville d’une autre manière.
ML : Je prends beaucoup de photographies, j’en ai besoin de beaucoup pour inventer une histoire. Quand j’en ai assez, je les imprime et les mets sur le sol. Je créé plein de sortes d’écosystèmes. Je travaille beaucoup avec les stéréotypes, les personnages me donnent des indices pour créer une histoire. Cela peut être un corps, un visage, une conversation. Tout a commencé quand j’ai trouvé un vieil homme, qui ressemblait à un mafieux, et j’ai décidé de poursuivre dans cette direction. En Espagne, on a un mot, le « picaro » [voyou]. Il essaye de survivre par la délinquance, sans faire de si grands vols, juste de quoi survivre.
ML : Au départ je voulais étudier le photojournalisme, j’ai toujours aimé la photographie, le documentaire. Puis j’ai commencé à inventer et en réalité j’ai toujours inventé des choses avec ces séries documentaires. Je savais que j’aimais la fiction, et j’ai toujours incorporé, ou mis quelque chose qui n’était pas réel dans mon travail documentaire.
Quand j’ai commencé ce projet, c’était pendant le Covid et le confinement, donc je ne pouvais pas aller dans la rue. Il y a six histoires, et celle-ci particulièrement est hybride. Il y a du documentaire mais aussi un peu de scénographie. Par exemple, l’image avec l’arme est mise en scène. Il y a des choses que je dois incorporer. La personne qui fume, c’est l’ami de ma mère. Je dois compléter le livre d’images avec ces mises en scènes.
ML : Je me suis beaucoup inspirée des magazines Pulp. J’ai commencé mes recherches avec ces magazines et j’ai décidé d’aller dans cette direction. Maintenant je m’en suis plus éloignée. Ce sont des magazines que les gens lisent beaucoup, c’est très peu cher, et après, ils les mettent à la poubelle. Je veux qu’on puisse lire et s’amuser avec ces histoires qui sont très rapides à lire. Ces histoires sont très facile à comprendre. Avec ces stéréotypes, tout le monde peut identifier ce qu’il se passe. Mon livre est publié aux éditions Dalpine. J’y ai ajouté des écrits qui se présentent comme dans les films muets. Je les pioche dans des dialogues de films que j’aime, puis j’en fais ma propre histoire. Par exemple, le titre de la série « He plays music, We dance » vient d’un dialogue de la série The Sopranos. Le dialogue dont il est issu est aussi présent, plus tard dans le livre.
ML : Il y a plein de types de films, pas seulement un genre. Il y a, bien sûr, Scorsese, car j’ai commencé avec Scorsese, mais il y a aussi Woody Allen, Berlanga, que j’aime beaucoup. Mais cela peut aussi être des Séries B, qui sont des films tournés avec un petit budget de production. Donc j’ai plein de références qui n’ont rien en commun, mais quand je les mets ensemble, tout prend sens.
Visuels : ©Manuela Lorente
A voir au festival Circulation(s) au Centquatre du 5 avril au 1er juin 2025.