Une formidable expo sur les Ballets suédois vient d’avoir lieu à Stockholm, amorcée par celle de l’Institut suédois parisien en 1920. Est ainsi bouclé le centenaire de la compagnie créée à Paris en 1920 par Rolf de Maré, qui a offert au public 26 chorégraphies de Jean Börlin et a duré jusqu’à fin 1924. Un magnifique catalogue luxueusement illustré, écrit en suédois et en anglais, a été publié pour l’occasion.
Le Musée de la danse, le vrai (méfions-nous des imitateurs, disait déjà en 1922 le peintre d’avant-garde Theo van Doesburg) se trouve dans la capitale suédoise. L’établissement date de 1953 et réunit une grande partie du fonds des Archives internationales de la danse (1931-1952) du riche mécène Rolf de Maré (1888-1964). Les collections du musée comprennent aujourd’hui plus de cinq mille pièces. Nous avons été accueilli et guidé par le commissaire de l’exposition, vice-directeur du musée, Erik Mattsson et par le chorégraphe Petter Jacobsson qui reprit il y a dix ans, avec Thomas Caley et le Ballet de Lorraine, le ballet «instantanéiste» Relâche. C’est d’ailleurs un aphorisme de l’auteur du livret de ce spectacle, Francis Picabia, traduit en néoparler, qui donne le titre à l’expo : Si cela ne vous plaît pas, vous êtes libre de foutre le camp. Un conseil d’ami destiné à épater le bourgeois qui a inspiré l’adresse au spectateur de Belmondo dans À bout de souffle (1960) : Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville. allez vous faire foutre !
Jean Börlin s’est rendu à Londres en 1919 pour voir les Ballets russes qui s’y sont produits avec succès, faisant en quelque sorte de l’espionnage éco-esthétique avant de lancer l’aventure des Ballets suédois. On note chez Rolf de Maré la même exigence que chez Diaghilev pour ce qui est des choix musicaux (Cole Porter, Erik Satie, Stravinski ayant fait faux bond), des décors et des costumes (le peintre suédois ami de de Maré, Nils Dardel, Picabia himself, Fernand Léger, Audrey Parr, Hélène Perdriat, Jean Hugo, Bonnard, etc.). Une des gouaches nous ayant épaté est un portrait de la danseuse Jenny Hasselquist par le cubo-futuriste Gösta-Adrian Nilsson, communément appelé GAN.
Après la fête de la Saint-Sylvestre donnée au Théâtre des Champs-Éysées, intitulée Cinésketch, mêlant jazz et performances artistiques, après le départ de Jean Börlin, épuisé par son travail et ses excès, le spectacle a continué avec la Revue nègre et Dada a fait place au Surréalisme qui est célébré aujourd’hui. La scénographie de l’exposition était enchanteresse, à l’échelle humaine. D’ailleurs, les photos, les dessins, les croquis de Picabia et de ses collègues, à l’instar des agendas de Rolf de Maré, étaient de modeste format. De même, les films qui nous restent des étoiles du ballet et de celles du 7e Art comme Carina Ari et Jenny Hasselquist, qui étaient projetés en boucle sur de petits écrans.
Nous avons repéré le document tourné, selon nous, en 1921, au Théâtre Alhambra de Londres, découvert à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé dans le cadre du cycle «Danser au cinéma», Tagning Svenska baletten avec des extraits de la pièce Derviches (1920), Börlin dansant en tenue de mevlevi (plus de cinquante ans avant Andy Degroat dans Einstein on the Beach de Bob Wilson), son solo dans Siamesisk Dans (Danse siamoise intitulée aussi Danse céleste), créée en 1918 (représentée en 1919 par Nils Dardel (cf. son tableau au Moderna museet) influencée par Le Dieu bleu (1912) destiné par Fokine à Nijinski (source du numéro de Philippe Katerine dans son tableau aux J.O.), des séquences dansées par Jenny Hasselquist dans des films de Lubitsch, Mauritz Stiller, Victor Sjöström, Sigurd Wallén, Berthold Viertel, Gustaf Molander, Gustaf Bergman et un numéro étonnant de Carina Ari dans le classique Erotikon (1920) de Mauritz Stiller…
Visuel : Rolf de Maré et Jean Börlin, tournage d’Entr’acte (1924) sur le toit du Théâtre des Champs-Élysées, collection Dansmuseet.