Ce printemps, alors que la nature renaît, le musée Albert Kahn nous propose une déambulation au milieu de ses jardins immortalisés sur plaques de verre. Une exposition végétale qui invite à suivre le mouvement des fleurs.
Depuis sa réouverture en avril 2022, le musée Albert Kahn axe ses expositions temporaires sur ce qui fait l’essence de ses collections. Après avoir abordé la question du voyage, ceux d’Albert Kahn ou de ses émissaires autour du monde, le musée se penche sur un pan de ses collections moins connu : les photographies et les films des jardins de Boulogne et de Cap-Martin. Si ce dernier et la résidence méditerranéenne d’Albert Kahn ont aujourd’hui disparu, le jardin de Boulogne est toujours bien vivant, et nous attend au terme de l’exposition, dont la scénographie est une promenade qui nous amène au panorama sur le jardin anglais.
Sur les quelques dizaines de milliers de photographies autochromes (photos couleur sur plaque de verre et base de fécule de pomme de terre) de la collection, plus de 5000 concernent les jardins d’Albert Kahn. Car s’il est passionné par la nature et l’horticulture, ces deux jardins sont aussi les lieux parfaits pour s’exercer à la prise de vue photographique et cinématographique. Ceux qui débutèrent comme simples opérateurs, à force de chercher à capturer les variations de la lumière, le mouvement des vagues de la Méditerranée ou le vent dans les branches, vont peu à peu faire de leur pratique un art.
Mais au-delà de l’aspect purement pratique, ces captures impressionnistes de la nature et sa lumière s’inscrivent dans la philosophie pacifiste d’Albert Kahn et sa volonté de conserver une image du monde du début du XXème siècle, voué à évoluer ou disparaître. Cette approche très japonisante visant à capturer la beauté de l’éphémère nous permet d’admirer les jardins à différentes saisons et variations atmosphériques, à guetter les changements et renouer avec les cycles de la nature. Ainsi, bien que les peurs d’Albert Kahn quant à la disparition aient été fondées, on peut aujourd’hui encore se promener en images au milieu des agaves et des palmiers de Cap-Martin, ou voir ses jardiniers en uniformes de soldats, soulignant le sens de son projet d’archivage du monde.
L’exposition présente un troisième corpus d’images, plus orientées vers la recherche scientifique. Dans les années 1920, Albert Kahn installe dans son jardin de Boulogne un « laboratoire de la vie », mené par Jean Comandon, qui vient enrichir cet espace d’études qu’est son « jardin-société ». On peut visionner ces fascinants premiers time-lapses qui révèlent les mouvements des plantes, de leur éclosion à leur sénescence, une vie quasi invisible mais pourtant déterminée. Ces images font écho à « l’élan vital » de Bergson, qui fut le tuteur d’Albert Kahn, mais aussi aux recherches du physiologiste indien Sir Jagadish Chandra Bose sur les émotions des plantes.
Aux côtés des quelques deux cents autochromes, on découvre également des documents et des peintures de l’époque, des œuvres contemporaines et des œuvres créées in situ par des artistes invités pour l’occasion. Notons les tirages mêlant anthotypes à base de baies de sureau et charbon de bois de pins récemment taillés du jardin de Boulogne de Kristof Vrancken, qui de par leur nature finiront par s’effacer sous les rayons du soleil. Si l’œuvre n’existera que quelques mois, c’est à nous de l’immortaliser en suivant l’exemple d’Albert Kahn.
Natures vivantes est une exposition délicate comme les fleurs qu’elle nous présente sur ces images empreintes d’une certaine nostalgie. Après cette promenade bucolique virtuelle, plonger dans le réel et admirer le jardin, les plantes et le travail des jardiniers est le parfait prolongement aux réflexions nées de l’exposition. Profitez du jardin, tout en gardant à l’esprit qu’un jour, il pourrait ne plus être là.
Natures vivantes – Images et imaginaires des jardins d’Albert Kahn
Du 30 avril au 31 décembre 2024
Musée départemental Albert Kahn – Boulogne-Billancourt
Visuels :
1- Agaves, cordylines, dasylirion et autres plantes exotiques ornant une étroite allée, propriété d’Albert Kahn à Cap-Martin – Roger Dumas, Autochrome, 1930 © CD 92 / Musée départemental Albert-Kahn
2- Deux jardiniers dans le jardin japonais, Propriété d’Albert Kahn à Boulogne, Entre 1909 et 1912, Stéréo autochrome © CD 92 / Musée départemental Albert-Kahn
3- Prairie en fleurs au cœur de la forêt dorée – Auguste Léon, Juin 1911, Autochrome © CD 92 / Musée départemental Albert-Kahn
4- La forêt vosgienne, Propriété d’Albert Kahn à Boulogne – Georges Chevalier, 20 mai 1915 – Autochrome © CD 92 / Musée départemental Albert-Kahn
5- Prunus à fleurs roses dans le village japonais, propriété d’Albert Kahn à Boulogne – Opérateur non identifié, Sans date, Autochrome © CD 92 / Musée départemental Albert-Kahn