Cyrille Sciama est conservateur en chef du patrimoine et directeur général du Musée des l’impressionnismes depuis juin 2019. Aujourd’hui, il nous parle de Hiramatsu Reiji, peintre contemporain japonais, qui y sera exposé à partir du 13 juillet. L’occasion de décentrer notre regard sur ce mouvement culte, vers d’autres espaces et des temps nouveaux.
Né à Tokyo en 1941, Hiramatsu Reiji montre très tôt des talents pour le dessin. A 7 ans, en 1948, il découvre l’œuvre de Kawabata Ryûshi (1885-1966), célèbre peintre de nihonga, une technique traditionnelle japonaise qui le fascine pour les pigments de couleur. Parallèlement à son activité de peintre, et par devoir filial, il suit des études de droit et d’économie. En 1966, Hiramatsu organise sa première exposition personnelle à la galerie Garando de Nagoya. Toutefois, pour des raisons personnelles, il cesse de peindre pendant deux ans et travaille comme décorateur d’intérieur. En 1977, il reprend la peinture avec la série « Chemins ». La même année, son fils Rei subit une opération du cœur, dont il guérit. Pour célébrer cet événement, Hiramatsu adopte le prénom Reiji. Dans les années 1990, le peintre découvre les œuvres de Claude Monet, marquant une nouvelle étape dans sa carrière artistique…
Reiji Hiramatsu a d’abord découvert Monet au Japon, lors de ses études d’art. Ensuite, il est venu à Paris en 1994, il voulait absolument découvrir le musée du Louvre. Par hasard, il découvre le musée de l’Orangerie. Il y reste fasciné, presque une journée devant les Nymphéas de Monet : c’est un véritable choc pour lui. Il décide donc de venir à Giverny, où il découvre la maison, le jardin, le village de Monet et envisage un travail sur lui. Hiramatsu trouve que Monet entre profondément en résonance avec l’art japonais, avec à la fois Hiroshige, Hokusai et puis l’école de Rinpa, une école assez décorative. Il a la volonté d’orienter un peu ses nihongas – peinture traditionnelle japonaise – vers Giverny, alors qu’il avait précédemment représenté New York, la Corée ou le Mexique. Pour lui, Monet est le maître essentiel de son art, il est sous totale influence, mais avec les codes japonais. Il voulait garder son identité propre de japonais, et regarder l’art de Monet avec ses propres outils. Réciproquement, il y a une résonance de l’art de Monet avec Hiramatsu : Monet était un passionné d’estampes japonaises, d’objets japonais, il avait des collectionneurs japonais ; son jardin a été créé comme un jardin japonais, notamment autour des fleurs, des chrysanthèmes, ou des bambous et cerisiers. Il a beaucoup regardé la production japonaise de l’époque, donc il y a vraiment une correspondance entre les deux artistes.
Oui, les estampes japonaises de Monet sont conservées à proximité, à la Maison Claude Monet, et nous sommes le Musée des Impressionnismes. En revanche, dans l’exposition Hiramatsu, on va présenter une œuvre que l’on conserve de Claude Monet, qui sont les Nymphéas avec un saule pleureur, et nous aurons donc une belle correspondance entre les paravents d’Hiramatsu et Monet, de même que l’on présentera une œuvre de Gustave Caillebotte que l’on a dans la collection, qui se présente comme un paravent japonais et s’intitule Les Marguerites.
Cela signifie peinture japonaise, peinture traditionnelle, le terme apparaît durant l’ère Meiji. C’est la façon de peindre des artistes depuis environ le XIXe siècle. C’est une manière de peindre avec des pigments fabriqués, qui ne se mêlent pas, qui sont superposés. Cela demande beaucoup de patience, et pour être peintre du nihonga il faut une dizaine d’années, notamment pour la science des couleurs. Ils travaillent beaucoup avec la feuille d’or ou avec de l’argent. C’est une technique très précautionneuse, qui prend beaucoup de temps, c’est assez comparable aux souffleurs de verre : il y a des « trucs d’ateliers » qui se transmettent de père en fils, de maître à élève. Il y a chez eux une volonté de conserver cette forme de secret, mais Hiramatsu nous a très généreusement offert son matériel de peintre de nihonga, et nous en présenterons des parties, la poudre, les bols… on va expliquer ce processus très lent de fabrication des couleurs.
Il serait ravi de savoir qu’on le définit comme un peintre impressionniste, c’est quelque chose qu’il revendique et il dit que c’est son plus grand honneur. Entre 2013 et 2019, il a beaucoup travaillé et a poursuivi sa création sur les paravents, sur les dessins, et à son âge [il est né en 1941], il est devenu une star du nihonga au Japon. On a reçu beaucoup de sollicitations d’entreprises japonaises pour donner des droits d’autorisation sur les œuvres, notamment pour des stations de métro à Tokyo, pour des bateaux de croisière, pour des livres. Parallèlement, il avait envie de faire une œuvre finale sur Monet, donc il a fait les paravents, achevés en 2020-21, et on a décidé de négocier avec lui cette donation, pour laquelle on a acheté le transport des œuvres.
Ces œuvres marquent vraiment la fin d’un cycle. Je ne pense pas que l’on pourra aller au-delà de ça dans l’achèvement de toute sa création depuis 50 ans. Il peint encore, il peint tout le temps, il dessine encore. Il vit au Japon, dans une station à 60 kilomètres de Tokyo, au bord de la mer. Il travaille toujours beaucoup, sur des variations de ce qu’il a déjà fait. La Symphonie des Nymphéas fait environ cent mètres de long, si l’on met les paravents les uns à côté des autres. C’est vraiment le cycle d’une saison et le cycle d’une vie : c’est une belle conclusion pour lui, et c’était naturel que cela revienne ici. Pour tout vous dire, quand je suis arrivé en 2019, j’ai vu qu’il y avait beaucoup d’Hiramatsu dans la collection, et je me suis demandé si c’était un artiste, nous avons eu un vrai débat : il y a des gens qui trouvent ça un peu décoratif, d’autres qui trouvent ça un peu impressionniste, d’autres qui trouvent ça très beau et très hypnotique. Moi, j’ai été séduit en étant très neutre, parce que je ne connaissais pas l’artiste. Il y a des choses qui sont très réussies, d’autres qui sont un peu plus décoratives, mais cela se comprend lorsque l’on sait qu’il a eu aussi sa carrière de décorateur. Cette exposition sera vraiment immersive : on déballe en ce moment les paravents, et à chaque fois qu’on en déballe un, on appelle l’équipe, parce que c’est très émouvant. Il y a une matière merveilleuse, très bien peinte et dessinée.
Alors, le musée d’Orsay célèbre les 150 ans de l’impressionnisme, une opération qui se tient partout en France. Et le festival Normandie Impressionniste, en effet, célèbre aussi cet anniversaire. De toute façon, on avait prévu de faire Hiramatsu, festival ou pas. Donc, ça ne change pas grand-chose pour nous. En revanche, l’exposition est labellisée. À Giverny, on expose toujours de l’impressionnisme et de l’art contemporain, et comme Hiramatsu est encore vivant, c’est de l’art contemporain.
Eh bien, il y a deux expositions : « L’impressionnisme et la mer », sur les fondements de l’impressionnisme autour de la marine, dans laquelle on comble certaines failles de recherche sur les fondements et les bases de l’impressionnisme. Et puis, depuis que je suis là, on essaie de faire de l’art contemporain pour la deuxième exposition, et pour la troisième en hiver. Nous nous sommes dit que ce serait bien de profiter du public des Jeux Olympiques, qui sera là fin juillet-début août, également pour avoir un public asiatique, devant un peintre japonais. Donc, il se trouve que les expositions correspondent au festival, mais nous aurions programmé Hiramatsu quoi qu’il en soit.
C’est la couverture du catalogue qu’on a choisie, c’est « L’étang de Monet 1 et 2, entre été et automne », qui est à la fois une immersion dans un bassin très bleu, avec des reflets d’or, comme des virgules, comme des gouttes d’eau.
C’est très immersif. Ce que j’aime chez Hiramatsu, c’est qu’il y a un côté décoratif agréable à regarder, mais il nous emmène aussi dans un monde onirique, assez rêveur. J’ai eu la chance d’aller souvent au Japon, mais pour ceux qui n’y sont pas allés, c’est vraiment une découverte de l’art japonais, et du rapport au monde : un rapport, j’ose dire « animiste », d’ailleurs il s’en explique lui-même. Il considère que la nature est Dieu lui-même, il y a l’immanence, un transfert de spiritualité dans sa peinture. On se sent bien dans ses paravents, dans ses dessins.
Le rapport au monde animal est assez humoristique, avec des libellules, des grenouilles, des hirondelles qui s’abreuvent. Rentrer dans l’une de ses œuvres demande du temps : il y a beaucoup de détails, très subtils et humoristiques que j’aime beaucoup. Il se déploie complètement dans ses peintures, c’est très généreux.
Il y a des peintres qui se revendiquent impressionnistes de nos jours, en tout cas qui se disent très influencés par ces artistes-là. Je vais vous donner des exemple : Monique Frydman ; ou Hermann Nitsch [cofondateur de l’actionnisme viennois], qui a vu des correspondances entre son travail des couleurs et celui de Monet, et a été exposé au musée de l’Orangerie. Ces artistes sont passionnés par Monet. Ils regardent le papier et le considèrent encore contemporain. D’ailleurs, il faut être clair : quand on dit « impressionniste », les gens ne pensent pas à Pissarro, Renoir ou Sisley. Ils pensent à Monet. C’est le grand modèle car il a ouvert à l’abstraction, et plusieurs artistes se revendiquent de cet héritage.
Photo en une : L’étang de Monet, entre été et automne, 2019
Paire de paravents à six panneaux (paravent de gauche), pigments et colle sur papier, 200 x 540 cm
Giverny, musée des impressionnismes, MDIG 2022.5.1.1
© Takemi Art Photos
Les photographies de Hiramatsu et de ses œuvres appartiennent toutes à © Takemi Art Photos.
La photographie du Parterre de marguerites de Gustave Caillebotte appartient au © musée des Impressionnismes de Giverny.
Les autres visuels appartiennent au domaine public, via Wikimedia Commons.