« L’exposition Caillebotte, Peindre les hommes » se tient au musée d’Orsay jusqu’au 19 janvier. Soixante-dix œuvres de Gustave Caillebotte sont présentées au public, principalement des peintures, mais aussi des dessins et des photographies.
Gustave Caillebotte (1848-1894), chroniqueur pictural de son époque. Ainsi pourrait être dénommé celui qui souhaitait hisser la peinture de la vie moderne à la hauteur de la peinture historique. Il va peindre les hommes de son temps, ceux qui vivent près de lui. Par son réalisme et sa modernité, son œuvre appartient totalement au mouvement impressionniste. Issu d’une riche famille parisienne, il se consacre dès 1970 à la peinture. Ses premiers tableaux refusés par le Salon (la peinture académique d’alors), il rejoint en 1876 la deuxième exposition impressionniste. Très proche de Renoir et de Monet, il soutiendra activement le mouvement impressionniste. L’exposition vaste, aérée, didactique aussi nous offre un bon panorama sur l’œuvre de Gustave Caillebotte
La modernité était d’abord architecturale. Paris a été transformée par les travaux dirigés par le baron Haussmann. Caillebotte va s’emparer de ce nouveau visage de la capitale dans de grandes peintures qui deviendront célèbres. Le Pont de l’Europe met en scène un couple de promeneurs par une journée ensoleillée. Le pont métallique domine les voies de la gare St-Lazare. La société industrielle s’invite dans la peinture ! Rue de Paris, temps de pluie (1877) est le plus grand tableau peint par Caillebotte. Nous sommes au cœur du Paris haussmannien. L’espace public est vaste, calme, loin de l’agitation du vieux Paris populaire. La peinture est quasi photographique, la pluie perceptible. Le personnage principal pourrait incarner par sa prestance l’idéal masculin de l’artiste.
Le balcon des immeubles haussmanniens est une nouveauté architecturale que va exploiter Gustave Caillebotte. Grace aux balcons, il invente en peinture les vues plongeantes. Il crée un nouvel espace entre l’espace public surtout masculin et l’intérieur dédié aux femmes. Mais seuls des hommes surplombent l’espace public ! Dans Balcon (1880), deux hommes regardent les arbres du boulevard Haussmann, une vision estivale, lumineuse de la ville qui contraste avec le sombre des costumes. Ils paraissent détachés, presqu’ indifférents. Le boulevard vu d’en haut est une vue plongeante sur un petit square avec un banc, un arbre au feuillage vert tendre, quelques passants. Le tableau est très délicat, très poétique. Souhaitant s’extraire des barrières sociales, il a peint le travail ouvrier, ce qui était alors inédit. Les raboteurs de parquet a été refusé par le Salon en 1875, mais aura un grand retentissement l’année suivante à l’exposition impressionniste. Les ouvriers sont torses nus, les positions inconfortables, manifestement le travail est pénible. Mais ils se parlent, paraissant faire équipe, c’est l’éloge du travail collectif, un thème républicain cher à Caillebotte. Les croquis préliminaires sont passionnants, l’étude des gestes et des postures quasi anatomiques. Le tableau, Les peintres en bâtiment (1877) est tout aussi réaliste. Les couleurs pastel, la rue quasi vide, le ciel pâle, évoquent l’arrivée au travail, tôt le matin, des deux travailleurs. Là aussi les études préparatoires sont fabuleuses.
Gustave Caillebotte a réalisé de nombreux portraits, surtout des hommes, volontiers, ses frères ou ses voisins, souvent célibataires. Il a peint les hommes de son époque, des hommes sûrs d’eux, mais souvent austères, distants, marqués par l’ennui et à la solitude. Les nus de Gustave Caillebotte sont rares, mais hyper réalistes, très innovants. Il s’est libéré de toute idéalisation ou de tout prétexte historique ou mythologique. Il nous montre, ce qui était alors très inhabituel, l’homme dans l’intimité de sa toilette. Dans L’homme au bain (1884) le corps nu dégage une énergie virile, la musculature est mise en valeur. L’homme s’essuyant la jambe est un tableau d’une grande modernité, la posture est originale, le trait du pinceau simplifié, les couleurs, bleu, mauve, ocre, blanche sont harmonieuses. Le nu au divan n’a été ni vendu ni exposé de son vivant. Trop audacieux, trop dérangeant ! L’artiste s’était écarté des standards de beauté ! Ce très beau tableau d’une femme couchée sur un divan qui s’abandonne dans son sommeil évoque Gustave Courbet.
Lors de la jeune troisième République, la modernité se traduisait aussi par la diffusion des loisirs et le développement d’activités sportives… masculines. Le sport est encouragé, car favorisant l’effort collectif, le dépassement de soi. Gustave Caillebotte va s’emparer de ces sujets, d’autant qu’il est passionné par les régates. Le visiteur découvre une autre peinture de Caillebotte. Les tableaux sont lumineux, colorés, les paysages superbes. L’influence des impressionnistes est très marquée, en partie celle de Monet avec qui il a partagé son atelier. Nous pouvons admirer La Partie de bateau, tableau récemment acquis par le musée d’Orsay. Il s’agit d’une promenade en barque, le rameur, élégamment habillé, porte un chapeau haut de forme. Il paraît solide, fier, représentant l’idéal de masculinité. Dans Pêche à la ligne, nous sommes dans un sous-bois au bord d’un étang. Le soleil filtre à travers les feuillages, le pécheur est paisible, concentré, une jeune fille regarde rêveuse. Un calme réconfortant émane de cette scène. Une course de bateaux est son ultime peinture. Deux hommes naviguent sur ces élégants bateaux conçus et dessinés pour beaucoup par Caillebotte. Les voiles élancées se reflètent dans l’eau. Le bleu, le jaune, le blanc se fonde dans un harmonieux jeu de couleurs. Quel talent !
Le musée d’Orsay nous propose une exposition remarquable par l’importance de l’œuvre de Caillebotte ici rassemblée, par la beauté des peintures et des dessins. Le regard de ce peintre de la réalité nous éclaire sur la deuxième moitié du 19ᵉ siècle, sur son rapport à la modernité, sur sa conception de la réalité. Une exposition à recommander.
Exposition Caillebotte : Peindre les hommes. jusqu’au 19 janvier 2025
Visuel(c): Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de Parquet