Découvrez du 12 octobre au 14 décembre 2024 l’exposition pluridisciplinaire et immersive « Grains de Sable », un nom choisi pour évoquer la versatilité de ce minéral malléable, souvent considéré comme un liquide.
L’exposition s’ouvre sur une grande salle, au centre de laquelle se trouve une petite estrade noire, surmontée de tabourets roulants. Aux murs, des plaques de métal gravées de schémas intrigants. Face à nous, la projection d’un court-métrage donne tout son sens à l’installation.
Paul Heintz, artiste actif entre Paris et la Lorraine, est lauréat de plusieurs prix, tels que Révélation Emerige 2019 et Révélation Livre d’Artiste 2021. Ce projet s’inspire des luttes ouvrières, thème central de son travail. Il prend pour point de départ une recherche approfondie sur les différentes formes de luttes ouvrières du XIXe siècle. En synthétisant ses découvertes à partir d’archives, il a conçu cette installation/vidéo. Heintz a collaboré avec un groupe d’ouvriers et de danseurs pour réaliser un film dans lequel ces derniers exécutent une danse qu’ils ont eux-mêmes créée, au sein d’une usine à l’arrêt.
L’installation de l’estrade noire symbolise le sol sur lequel la danse a été filmée. Les tabourets sont ceux utilisés dans la vidéo, et les plaques de métal gravées reprennent les schémas chorégraphiques. Un livret est également mis à disposition, sorte de journal de bord mêlant les archives qui ont inspiré le projet et les détails logistiques de la création de l’œuvre. Cette immersion totale nous transporte dans une lutte poétique, où l’art devient un moyen de contestation, exprimant des revendications de manière subtile et puissante.
Nous entrons dans la salle suivante, en contraste total avec la précédente : une pièce immaculée, où se dresse une petite estrade sur laquelle de drôles de dames se tournent le dos.
Elsa Sahal, céramiste diplômée des Beaux-Arts de Paris, est reconnue pour son exploration du corps féminin et des formes organiques. Son œuvre Bonbon Moustache se compose de statues aux corps féminins voluptueux, moulés dans des robes. À la place de têtes, ces figures arborent des bouquets de seins en verre et des fleurs de corail. Ces bouquets ont été réalisés en collaboration avec les maîtres-verriers Simon Muller et Francis Lefevre. Elsa Sahal raconte avec amusement que la majeure partie du budget a été consacrée à la création de ces magnifiques seins roses et translucides.
Ces femmes, à la fois symboles de la nature et de la féminité, reflètent parfaitement le thème de l’exposition sur la versatilité : le grain de sable qui se transforme en verre soufflé et la terre cuite prenant des formes charnelles.
Pour la suite de la visite, nous montons à l’étage dans une petite pièce sombre, avec de vieux fauteuils de cinéma en bois au centre et des affiches de films autour. Le film de la réalisatrice y est ensuite diffusé.
Liv Schulman est une artiste originaire de Buenos Aires, ancienne étudiante des Beaux-Arts de Lyon et de la Goldsmiths University de Londres. Dans son installation/vidéo, on est une fois de plus immergé dans l’univers que l’artiste souhaite créer : une séance de cinéma d’un film très particulier. Il n’y a pas vraiment d’histoire linéaire, mais plutôt une progression. Le film est tourné en plan séquence, passant d’une conversation à une autre. Il capture à la fois des passants et des acteurs, presque indistinguables des premiers, sauf par un petit détail. Tous portent des t-shirts avec des axiomes inscrits dessus et, à tour de rôle, énoncent une phrase qui, progressivement, forme un poème. Cette expérience immersive, située dans la rue, aborde des problèmes contemporains majeurs, comme la crise économique, les méthodes contraceptives ou la crise de la psychiatrie.
Ce film choral donne voix à une parole collective qui se diffuse dans toutes les directions, dénonçant les excès du capitalisme ainsi que ses dérives politiques et sociales, parfois poussées jusqu’à l’absurde. La scénographie recrée une salle de cinéma DIY (Do It Yourself), rappelant l’ambiance d’origine du court-métrage projeté.
La visite se poursuit dans une très grande salle, qui abrite les œuvres des trois derniers artistes. La première est celle de Chloé Quenum, une artiste franco-béninoise formée aux Beaux-Arts de Paris et à l’EHESS.
Son œuvre évoque à première vue, un sarcophage en briques, renfermant un matelas, entouré d’appuie-têtes et de grands colliers de perles. L’artiste explore les représentations de la mort et les rituels qui l’accompagnent, en s’intéressant à la manière dont ils sont abordés dans différentes cultures. La mort, perçue comme un état liminal de transition, est ici interprétée comme un sommeil éternel, où l’individu, accompagné de son appuie-tête et de ses biens, entreprend un voyage. Sur les briques entourant le sarcophage, sont inscrits divers récits, indéchiffrables pour le spectateur.
Tel un tableau des récits d’une vie entourant le lit funéraire, son installation résonne comme une réflexion sur l’héritage et la transmission.
À côté du lit de l’éternité, se dresse une œuvre massive et luminescente, composée d’enseignes publicitaires assemblées avec des néons, de l’acier, du bois et du plastique.
Prosper Legault puise son inspiration dans la rue. Bien qu’il préfère, à la manière d’un magicien, garder ses secrets, il nous raconte comment il se retrouve parfois à demander par hasard à des commerçants ou ouvriers de récupérer d’anciennes enseignes publicitaires. Trouvées aux quatre coins de la ville, son œuvre est une combinaison de souvenirs, d’endroits désormais disparus mais qui continuent de nous éclairer. Qu’il s’agisse d’enseignes de sex-shops ou de sandwicheries, tout est habilement assemblé pour former un ensemble captivant auquel il est difficile de détourner le regard.
De bouquets de carottes, d’enseignes de tabac aux détails de personnages de Dragon Ball, cette œuvre monumentale est à la fois stimulante et fascinante.
Pour clôturer cette exposition riche et dense, nous nous retrouvons au fond de la salle, dans un environnement sombre éclairé par un écran diffusant l’introduction d’un jeu vidéo fantastique, accompagné de dioramas singuliers.
L’artiste franco-marocain Mounir Ayache a commencé à développer la réflexion qui l’a mené à cette œuvre pendant une résidence à la Villa Médicis. À ce moment-là, il étudiait l’histoire d’Hassan al-Wazzan, aussi connu sous le nom de Léon l’Africain, et notamment sa Cosmographia de l’Afrique. Les écrits de cet homme ont servi de référence sur le continent africain pendant des siècles, contribuant plus tard à l’essor de l’orientalisme.
S’inspirant de ce sujet et de son histoire personnelle, Mounir Ayache a créé ces dioramas futuristes situés dans un décor de désert nord-africain. Suite à une collaboration sur un jeu vidéo basé sur la vie d’Hassan al-Wazzan, l’artiste a imaginé ces mondes mêlant des références de science-fiction, comme Star Wars ou Star Trek, avec un univers subsaharien, dans une esthétique à la fois robotique et saturée.
En revisitant le format du diorama, souvent associé à l’ère coloniale, Mounir Ayache propose une relecture critique et imaginative des identités méditerranéennes. Son installation relie passé, présent et futur, tout en explorant les échanges entre l’Europe et la Méditerranée, ainsi que les enjeux géopolitiques et écologiques à venir.
Photos : © Fred Mauviel / Ville de Paris