Gerhard Richter: une grande rétrospective à la Fondation Louis Vuitton

Après la rétrospective coloré consacrée à David Hockney, la Fondation Louis Vuitton poursuit sa programmation en accueillant un autre maître de la peinture contemporaine, Gerhard Richter. À 93 ans, Richter s’impose comme l’un des artistes les plus influents de notre époque qui fascine par son ambivalence.

Le flou qui trouble le réel

Né à Dresde en 1932, Gerhard Richter grandit dans une Allemagne marquée par le nazisme et la Seconde Guerre mondiale, un contexte historique qui marque une partie de son œuvre. Formé à l’Académie des beaux-arts de Dresde, il est d’abord confronté aux genres picturaux traditionnels avant de fuir l’Allemagne de l’Est en 1961, juste avant la construction du mur de Berlin. Son arrivée à l’Académie de Düsseldorf marque un tournant décisif car il développe ses célèbres peintures d’après photographies, reconnaissables à leur flou caractéristique que l’on découvre dès le début de la visite dans la première galerie. À partir de photographies de magazines, de famille, souvent traitées dans une palette de gris, Richter brouille les contours du réel, troublant notre rapport à la représentation. On est marqué notamment par Hirsch [Cerf] de 1963, un cerf flou peint d’après une photographie tirée d’un magazine au milieu d’un bois dessiné ou encore par les peintures représentant des membres de sa famille, notamment celui de son oncle représenté avec un uniforme de la wehrmacht, Onkel Rudi (Oncle Rudi) de 1965. Ce flou n’est pas un simple effet esthétique, il agit comme une mise à distance critique de l’image, en particulier lorsqu’elle renvoie aux traumatismes de l’histoire allemande. Richter peint avec une précision presque photographique avant de flouter volontairement l’image. On est alors placé dans une position incertaine, entre mémoire et effacement. Ces œuvres interrogent notre confiance dans l’image photographique comme preuve du réel.

Entre figuration et abstraction

Cette rétrospective met en avant la grande versatilité de l’artiste, qui refuse toute hiérarchie entre figuration et abstraction et ne s’enferme jamais dans un style unique. On glisse ainsi de la figuration à l’abstraction rugueuse des années 1980. Couches de pigments raclées à l’aide d’un racloir, coulures et superpositions, ces toiles vibrantes donnent à voir la matérialité pure de la peinture comme son œuvre Gudrun de 1987 qui est a l’affiche de l’exposition. Lors de la visite on découvre aussi ses bougies, comme Kerze de 1982, images méditatives sur la finitude et le temps, mais aussi sa série politique consacrée à la bande à Baader de 1988, où l’artiste aborde le terrorisme et la violence politique à travers le flou. S’ajoute encore la série de L’Annonciation d’après Titien (1973), dans laquelle Richter estompe progressivement la scène religieuse jusqu’à la faire basculer vers l’abstraction. L’exposition, installée dans l’ensemble des espaces épurés et lumineux de la Fondation Louis Vuitton, met en valeur cette diversité de médiums et de techniques. Richter peint avec la photographie autant qu’avec la matière, explorant sans cesse de nouvelles formes.

Représenter l’indicible

Mais ce qui nous marque le plus dans cette visite est sans doute l’espace dédié à la série Birkenau. Les quatre grande toile abstraite nommée Birkenau en référence au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, attirent immédiatement le regard par leur format et leur gravité. En s’appuyant sur les photos clandestines du Sonderkommando, il a choisi l’abstraction radicale pour ne pas trahir le réel par une figuration trop explicite. Disposées face à des miroirs sombres, ces œuvres nous incluent dans le champ de la tragédie. On ne voit plus les images de la Shoah, on en ressent la charge émotionnelle.  

L’exposition s’achève sur une série de dessins, rappelant que depuis 2017, l’artiste a délaissé le pinceau pour le dessin. Après les grandes œuvres des salles précédentes, cette conclusion plus intime met en lumière l’exploration de l’artiste des possibilités du dessin en tant que médium à l’interprétation personnelle de chacun.