Après une édition 2023 en berne, qui avait vu notamment la côte des jeunes comètes s’effondrer, amenant de sérieuses interrogations sur la santé du marché britannique, il semble que Frieze ait retrouvé de belles couleurs cette année. Avec 270 galeries participant aux deux foires (Frieze London & Frieze Masters), de nouvelles sections innovantes, et une organisation spatiale renouvelée, la foire londonienne a su marquer des points en amont de la semaine de Art Basel Paris.
Ce qui frappe au premier regard quand on entre à Frieze London 2024, c’est l’absence, croit-on, des Majors, ces grandes galeries internationales qui sont les locomotives du marché mondial. Mais renseignement pris, on apprend qu’elles ont été déplacées en fin de parcours, laissant ainsi aux galeries moins importantes une chance d’attirer de nouveaux acheteurs. Une initiative remarquable et plutôt osée, qui pourrait bien déteindre sur les autres foires internationales en cas de succès.
Mais ce n’est pas la seule bonne surprise de ce premier hall. La section Artist to Artist y attend les visiteurs : six artistes de renommée internationale ont été invités à sélectionner six artistes pour former six solo show. Ainsi, Glenn Ligon y révèle Appau Jnr Boakye-Yiadom (Galerie Champ Lacombe, Biarritz), Rashid Johnson y met en avant Rob Davis (Broadway, New York), ou encore Hurvin Anderson y montre le travail de Peter Uka (Galerie Mariane Ibrahim, Chicago, Paris, Mexico).
D’autres initiatives curatoriales contribuent à redynamiser la foire et l’expérience de visite. La section Smoke, organisée par le commissaire Pablo José Ramírez du Hammer Museum de Los Angeles, présente une série de céramiques contemporaines conçues par de grands artistes qui explorent les mondes indigènes et les pratiques artistiques pré-coloniales. Une évocation du sud global qui peut poser questions… On y retrouve notamment Karla Ekaterine Canseco (Murmurs, Los Angeles), Yeni Mao (Make Room, Los Angeles), Lucía Pizzani (Cecilia Brunson Projects, London), ou encore Ayla Tavares (Galeria Athena).
La section Focus, également renouvelée, fait la part belle à de jeunes galeries sélectionnées par un trio : Joumana Asseily (fondatrice de Marfa), Piotr Drewko (fondateur de Wschód), et Cédric Fauq (Commissaire en chef du CAPC de Bordeaux). On y remarque particulièrement l’installation The Birds de Benedikte Bjerre (palace enterprise, Copenhague), une myriade de sculptures gonflables de pingouins boostés à l’hélium, qui s’agitent au gré du flux des visiteurs. Nous tombons sous le charme du travail de Tania Ximena de la galerie Llano (Mexico city), des œuvres qui documentent l’évolution du dernier glacier du Mexique, le Jamapa. On s’arrête également sur l’installation narrative d’Eva Gold présenté par la galerie Rose Easton (Londres), qui a transformé ce stand en véritable salon, où la présence d’un voyeur est suggéré, palpable, mais invisible.
De nombreuses œuvres présentées à Frieze renoue avec les couleurs vives, et contribuent à propager une onde positive dans cette édition 2024.
Ainsi, Esther Schipper confronte Speech Bubbles, une sculpture imaginée par Philippe Parreno formée par une accumulation de ballons en forme de « bulles de BD » gonflés à l’hélium et le tableau Who are the flowers de Simon Fujiwara, une évocation néo-pop du célèbre personnage aux grandes oreilles de Disney.
« Néo » est d’ailleurs un préfixe qui peut s’appliquer à de nombreuses œuvres qui contribuent à donner un ton chatoyant à Frieze 2024. Il en va ainsi de la fascinante peinture néo-impressionniste, Boxed in, de Hugo Mc Cloud chez Sean Kelly, qui s’approprie une surface en aluminium. Et sur ce même stand, on ne saurait faire l’impasse sur l’œuvre néo-romantique de Laurent Grasso, Studie into the past, qui assume sa résonance et sa citation évidente de l’œuvre de Turner. Mentionnons également la très belle toile d’Ana Montiel présentée par la galerie OMR (Mexico City), The I in the eye, une forme de néo-pointillisme abstrait lumineux et harmonieux.
On peut alors prendre un bain de soleil chez Sadie Coles HQ sous la lumière néo-naïve de la toile d’Alvaro Barrington, Big Ocean, Carribean Blues, L. August 2024.
Sur ce même stand, on savoure aussi la toute dernière série de l’artiste suisse Ugo Rondine, des aquarelles paysagères aux couleurs saturées.
Mais ce règne de la couleur, c’est peut-être d’abord l’incroyable installation de Carol Bove qui embrasse tout l’espace du stand « borderless » de Gagosian, dans le dernier hall. Neuf sculptures spectaculaires, toutes vendues le soir même du vernissage, jouant sur les contrastes entre des structures métalliques rigides et des formes flexibles fluos, ludiques et souriantes.
Dans un tout autre registre, on ne saurait faire l’impasse cette année sur une forme « d’économie circulaire » de l’art. Une vague d’éco-conscience semble avoir saisi de nombreux artistes, qui s’emparent de matériaux de récupération pour fabriquer leurs œuvres, leur redonnant ainsi une valeur « marchande ». Mais cette génération spontanée de projets qui subliment le recyclage n’est en rien un nouvel « arte povera » à impact environnemental. Bien au contraire, on parlerait plutôt de « arte ricco », tant ces œuvres savent nous montrer de façon réjouissante toute la valeur de ces matériaux qui étaient voués à une destruction certaine.
On peut citer par exemple l’œuvre de l’artiste égyptienne Nour Jaouda chez Union Pacific, The light in between, une peinture abstraite et végétale réalisée sur une toile composée de fragments de tissus.
La belle sculpture organique de Monica Bonvicini chez Gisela Captain, Bent Grass, capitalise sur des tubes de LED et de l’aluminium.
Chez Blank Projects, on s’arrête sur Grey de Kresiah Mukwazhi, une toile abstraite entièrement réalisée à partir de fermetures Éclair.
Chez Sadie Coles HQ, on se trouve nez à nez avec les étonnantes sculptures de Tau Lewis, des personnages énigmatiques à échelle humaine réalisés à partir de cuirs et de daims de récupération.
Mentionnons également les tableaux de Gregor Hildebrandt chez Perrotin, réalisés à partir de boitiers de cassettes audio contenant des morceaux de toiles, qui assemblés de façon matricielle viennent former des portraits de femmes aux regards magnétiques et cinématographiques.
Au gré de notre déambulation, nous avons également été frappés par un grand nombre « d’œuvres-mondes », qui semblent partir en quête d’une échappatoire, d’un autre espace-temps. Des œuvres portiques, en quelque sorte…
Il en va ainsi de la captivante série de Charlotte Edey chez Ginny on Frederick (Focus section), baptisée Thin places. Chaque tableau semble ouvrir un vortex sur nos mondes intérieurs et nos tourments les plus profonds.
Les sculptures et les œuvres d’Alicja Kwade qu’on retrouve sur plusieurs stands, sont autant de variations systémiques à la fois planétaires et particulaires, qui paraissent vouloir défier les lois de la physique et de l’univers.
Une promenade florale, c’est ce que nous propose l’envoutant solo show de Paul Anthony Smith chez Timothy Taylor, à travers deux séries de toiles, Dreams Deferred et Eye Fi Di Tropics. Une démarche qui n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler les inoubliables Cerisiers en fleur de Damien Hirst, so british !
Chez Johyun (Busan), l’impressionnant solo show de Lee Bae nous fait opérer une déambulation dans l’univers du geste et du trait à travers de grands formats qui entrent tous en résonnance avec une sculpture centrale.
Chez Sean Kelly, Julian Charrière présente une photo tirée de son film Controlled Bum, un gros plan sur des explosions de feux d’artifices qui nous emmènent aux confins du cosmos.
Ragna Robertsdottir nous embarque chez i8 dans son Landscape, un micro-monde réalisé à partir de petits éclats de verre bleutés.
Quant à Charles Gaines, il nous propose chez Hauser & Wirth un périple multidimensionnel à travers des séries de photos et d’encres de plantes.
De nouvelles expériences, de l’enthousiasme, de la transformation, de nouveaux mondes… Frieze London 2024 aura donné le La d’un « Art month » revigorant et puissant. Résolument réconfortant par les temps qui courent !
Ne manquez pas, parmi la myriade de propositions artistiques de ce début de saison, 2 expositions époustouflantes :
London is always a good idea !
Visuel : Philippe Parreno, Speech Bubbles ©David Hannau