Le CUTOUT COLLAGE FESTIVAL se déroule simultanément à Kyiv et à Paris. À travers leurs œuvres, les artistes ukrainiens abordent le thème de la liberté sous ses différents aspects et témoignent de leur vécu quotidien en temps de guerre.
La galerie d’art « Le bonheur est dans l’instant » est un laboratoire d’expositions, d’essais, de tentatives. Elle accompagne les artistes dans leur parcours de recherche artistique et de professionnalisation. C’est donc tout naturellement que son fondateur, Xavier Gras invite les artistes ukrainiens du collectif CUTOUT COLLAGE FESTIVAL de Kyiv à exposer à Paris. Le festival a été fondé en 2021 par Annete Sagal, Katya et Ohla Syta alors que la technique du collage est peu répandue en Ukraine. L’exposition accueille douze artistes ukrainiens et 6 artistes français. Elle rentre dans le cadre d’un festival simultané à Paris et à Kyiv. C’est une réussite esthétique. Les œuvres mêlent souvent peintures et collages, elles sont plutôt figuratives, les couleurs sont souvent vives, voire chatoyantes malgré la gravité du contexte. En effet, l’exposition célèbre la liberté sous toutes ses facettes et ses limites, mais reste hantée par le poids de la guerre.
La douleur et la mort sont présentes, certaines œuvres sont parsemées de taches rouges…. La souffrance psychique imprègne l’œuvre de Ziu Poberezhniuk, le noir domine, elle a écrit à la main «Je ne ressens plus rien». Hanna Petrova vivait à Zaporijia où sa mère est restée mais elle, s’est réfugiée en Suisse. Son collage traduit le chaos de l’exil, la vie dissociée, partagée entre ici et là-bas. Le noir domine, mais l’espoir est aussi présent, des mains sont tendues vers le ciel et un oiseau s’en échappent. Dans son tableau «Eclipse», Natalie Okhman, explique que la souffrance est aussi due aux informations de la guerre qui viennent fracasser une vie quotidienne confrontée alors à une double réalité.
La liberté est chèrement conquise en Ukraine. Annete Sagal dans «Yes I have» célèbre la liberté intérieure, montrant une femme droite, les yeux tournés vers l’avenir mais aussi le bonheur de la liberté insouciante des promeneurs au bord de la mer. Katya Syta dans «Guesses» montre la liberté menacée, le paisible lecteur a un chaos au dessus de sa tête. Ohla Syta créatrice du catalogue des expositions de Kyiv et de Paris a choisi de présenter un petit paysage apaisé comme si de rien n’était. Dans l’œuvre de Maria Shapranova figure une monumentale statue érigée à Kiev à l’époque soviétique récemment transformée en statue de la Mère Patrie ukrainienne avec un drapeau en partie dissimulé et une inscription: «Donner son corps et son âme à la patrie». La liberté est ici synonyme de combat, de résistance.
Toutes remarquables, les œuvres des six artistes français, souvent de formats importants, viennent comme un contrepoint aux œuvres ukrainiennes tant elles paraissent imprégnées de légèreté, de paix, et même d’humour. Un déjeuner au soleil, des collages tressés pour Claire Cornet, des œuvres éclatées spectaculaires nous rappelant le street art pour Jack Leonne. Adela Lorincz nous emmène dans ses rêves avec des collages numériques et légers pendant que Patrice Huguier, à quatre-vingt-cinq ans, colle sur des ardoises d’écoliers. Eva Baussart n’hésite pas à nous entraîner dans son univers coloré et onirique avec des œuvres audacieuses et assumées. Enfin des collages animés ukrainiens et français sont projetés dans le sous-sol de la galerie.
L’exposition a bénéficié du parrainage de la Mairie du 11ème arrondissement de Paris. Grâce à plus d’une vingtaine de donateurs, Katya Syta a pu venir de Kyiv présenter à Paris les œuvres du collectif. Son premier «trip» depuis février 2022. Nous lui demandons comment elle a vécu le déclenchement de la guerre. Katya Syta nous dit qu’elle a« ressenti la guerre très profondément en elle. Des amis meurent. On ne peut pas se distraire ». Elle ajoute qu’elle « a fait des collages pour ne pas être inactive », pour se « détendre ». Elle affirme qu’elle « ne voulait pas quitter l’Ukraine. « Même si on le lui a souvent proposé ».
Nous lui demandons pourquoi elle voulait rester à Kiev. Sa réponse est claire : Elle ne voulait pas
« vivre l’exil ni être en dette vis-à-vis d’autrui. L’exil, c’est une prison psychologique, on y risque la mort émotionnelle. Ici on sait ce que l’on doit faire, on partage les émotions, les sentiments de la population. On se comprend.». Étonnamment, elle assure que la guerre n’a pas restreint ses libertés artistiques. Elle nous dit : « la création ne peut être que libre. On ne peut pas dire à l’artiste ce qu’il doit faire. » Elle ajoute que cette exposition est pour elle une « mission ». Elle développe : « nous devons expliquer ce que nous ressentons nos souffrances, notre combat. Et puis au Collectif, nous voulons rester positifs, l’art doit nous aider à surmonter les épreuves.»
À l’entrée de l’exposition, le visiteur remarquera un collage de Yaroslava Shkolna sur lequel est posé un petit animal étrange mi-peluche mi-poupée vaudou. Et s’il s’agissait d’un « chaman » suggère Katya Syta. Il semble nous dire que l’art peut être une thérapie. Pour les exposants sûrement. Pour les visiteurs aussi, ce d’autant, que la galerie nous offre un bel exemple de résistance à l’oppression et de solidarité franco-ukrainienne.
CUTOUT COLLAGE FESTIVAL Kyiv-Paris,
Exposition du 8 au 24 septembre 2023
Galerie d’Art Le bonheur est dans l’instant, 72 Rue Amelot 75011 Paris
Visuel ©: Xavier Gras, Annete Sagal, Katya Syta