La saison 2023-2024 du MAIF Social Club s’intéresse au temps. À commencer par l’idée de le prendre, ce fameux temps, comme le taureau, par les cornes. Alors que « Le temps qu’il nous faut » s’ouvre le 30 septembre avec une nouvelle exposition et une série d’événements, nous avons demandé au responsable de programmation de ce lieu situé au cœur du Marais, ce quartier tellement ouvert sur le monde, tout ce que « la lenteur peut pour le monde »… Mieux qu’un projet, une éthique de vie partagée !
Le temps n’est pas qu’un sujet philosophique. C’est au contraire un sujet extrêmement concret. Nous avons tous du temps et aussi un rapport contemporain caractéristique au temps qui fait que nous souhaitons investir ce temps au maximum pour multiplier les expériences de vie. Si l’on articule cela à l’idée de l’impératif selon lequel il faut s’aménager des pauses, on peut dire que tout le monde vit une sorte de famine culturelle. Et cela commence dès le plus jeune âge avec la question de l’école, avec celle du rythme des parents, avec la nécessité pour toutes et tous d’articuler ensemble des milliards de choses. Le temps est un sujet très intime et quand on tire les fils des problématiques qui se posent, le temps est une question très politique, car il pose aussi celles de la production et de la consommation. Vouloir nous faire penser que le temps est philosophique revient à le dépolitiser, à le poser sur une étagère avec des livres.
Évidemment, nous nous posons énormément de questions sur la manière dont nous organisons le temps. Par exemple, les tempos sont complètement différents par rapport à la période qui précédait le covid. Programmer des sessions longues ou après 20 heures ne fonctionne plus. 21 heures, pour des activités gratuites en plein centre, c’est trop tard. Le public vient vers 19 heures et repart avant 20 heures pour pouvoir enchaîner sur autre chose. Selon notre ressenti, une proposition culturelle ne peut plus être l’expérience de toute une soirée, si tu veux.
Elle interroge d’abord et avant tout le rapport intime au temps. Ce rapport évolue, avec notamment des durées qui diffèrent en fonction de ce qu’on est en train de faire. On ne veut pas seulement se laisser traverser par des moments, mais on veut multiplier des expériences et avoir l’impression qu’elles durent. Et là, c’est une question de consommation. En fait, on nous propose que toute expérience de consommation soit une expérience de vie. Et l’important, aujourd’hui, c’est de vivre des milliards de choses. Alors qu’il y a encore peu de temps, nous passions une soirée complète devant le même programme de 20 h 50 à 23 heures. Et aujourd’hui, on « swipe » sur TikTok. Notre expérience culturelle, c’est une longue suite de très courtes vidéos qui s’enchaînent. Ce qui nous maintient dans une situation de loisir, de présent, de distraction et d’excitation. C’est une expérience capitaliste : on multiplie ses moments de satisfaction parce qu’on nous présente cela comme la clé du bonheur. L’exposition interroge ce mécanisme, et les œuvres qui y sont exposées invitent à prendre le temps – et du recul !
Avec la commissaire de l’exposition, AnneSophie Bérard, et avec toute l’équipe, tout commence par un travail de veille pour repérer des artistes qui travaillent autour de la thématique qui nous intéresse. Ensuite, nous concevons les parties de l’exposition de manière à ce que les visiteurs et les visiteuses puissent profiter de chaque œuvre ainsi que de leur interaction, ce qui crée une expérience globale, avec des interprétations et des résonances. Et puis, avec l’aide de certains et certaines philosophes, de chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales, nous proposons des clés de lecture des œuvres. Ainsi, nous faisons déjà un petit pas de côté pour faire raconter aux œuvres quelque chose qui va parler dans le contexte de l’exposition.
Oui, il s’agit de « Alors on danse » (Stromae), de « La Complainte du progrès » (Boris Vian) et de « C’est comment qu’on freine » (Alain Bashung). La musique, c’est aussi une question de génération, c’est comme cela que nous est venue cette structuration, même notre démarche n’est pas historique – des années 1950 à nos jours – sur le temps. Ce qui nous intéresse, c’est notre temps intime articulé à nos sociétés modernes de consommation. Et la musique est une manière ludique de rentrer dans chaque sujet. La chanson, ça parle, ça rythme et ça emporte.
Et puis, il y a aussi, pour la première fois, une partie de l’exposition hors parcours dans le café et l’espace de coworking, avec l’installation « Mécanologie » de Pierre Bastien et aussi, créée pour l’occasion, « La vitesse efface le paysage » de Louise Pressager, qui va dessiner dans l’ensemble des autres lieux du MAIF Social Club.
Cette partie interroge le paradoxe du temps qui oppose sa globalité et celui que nous avons chacun, individuellement, dans cette folie de multiplication des expériences et de tension pour « gagner du temps ». La complainte du progrès pose la question de la consommation et celle de l’action. Et puis, « C’est comment qu’on freine ? » fait l’éloge de la lenteur et propose d’envisager l’ennui comme une opportunité pour l’imagination, pour le vivre-ensemble et pour l’écologie. Les œuvres de Julia Haumont sont des autoportraits juvéniles où elle patiente, elle attend, elle joue ou se prélasse. Elle embrasse cette période d’ennui de la jeunesse. Ces dimanches de pluie finissent par se remplir de tant de choses à l’âge adulte…
De tous les continents, du Maroc, du Canada, de France… Avec une représentation forte des artistes qui viennent d’Asie. Il y a notamment les « chindogu » de Kenji Kawakami. Il s’agit d’objets conçus pour être tout à fait fonctionnels, mais d’une parfaite inutilité. Ils se moquent de notre envie d’optimiser notre quotidien, de faire sans cesse des choses, d’accumuler les activités.
D’une part, il y a des conférences de penseurs assez connus comme Étienne Klein et Cynthia Fleury, qui interviendra avec Antoine Fenoglio. Il y a des écoutes de disques avec Sonorium, comme celles que proposent Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccino autour d’Alice au pays des merveilles. Certains sont des artistes fidèles du MAIF Social Club comme la compagnie Difé Kako qui propose Tonton Mimil dans le cadre du festival Mois Kréyol. Il y a des artistes dont je suis le travail depuis longtemps, comme Julie Nioche ou Keti Irubetagoyena. Mais aussi des découvertes comme Erwan Cadoret, que je ne connaissais pas du tout et dont j’ai vu Slow Park dans un festival en Bretagne, ou encore Le Beau Monde, de la compagnie l’École Parallèle Imaginaire, repérée au festival Impatience, et la compagnie Prédüm que j’ai découverte à Avignon.
Oui, il y a l’installation participative et ludique « Ballooon sur mer » de Florence Doléac qui ouvre la saison en partenariat avec Les Traversées du Marais et qui dure le week-end des 2 et 3 septembre. C’est une invitation au farniente, faite de ballons de yoga, qui seront réunis dans un filet de pêche où les visiteurs et les visiteuses pourront se poser et ne rien faire ensemble.
Notre espace reste un lieu relativement neuf, et travailler en partenariat avec un festival permet d’avoir de la visibilité. Après, s’agit-il « d’autres publics » ? Pas nécessairement. Et ce n’est pas forcément notre objectif. Le MAIF Social Club est un lieu où l’on peut à la fois se poser pour travailler, visiter les expositions et venir pour assister aux spectacles. Et tout ce que nous proposons est gratuit, finalement, notre public est déjà assez équilibré : des étudiants, des adultes, beaucoup de familles avec des enfants de tous âges.
L’exposition « Le temps qu’il nous faut » s’installe au MAIF Social Club du 30 septembre au 24 février, avec une installation les 2 et 3 septembre.
L’exposition est en accès libre aux horaires d’ouverture du lieu.
Les réservations pour les spectacles ouvrent environ un mois et demi avant les représentations.
MAIF Social Club, 37 rue de Turenne, 75003 Paris, de 10 heures à 19 heures les lundis et samedis, de 10 heures à 20 h 30 les mardis, mercredis, jeudis, vendredis, fermé le dimanche, entrée libre.
Visuel (c) Jean-Louis Carli