Jusqu’au 1er octobre 2023, le centre culturel installé dans l’un des plus beaux hôtels particuliers du Marais propose une exposition de pièces de design uniques élaborées par neuf artistes, une collection d’une insolence aussi rebelle que divertissante.
Quand la littérature anglaise du XIXe siècle inspire des artistexs et des designerxs en provenance de Suède… Cela peut sembler étonnant, et pourtant, c’est bien l’époque victorienne bouffie d’austérité, de ces grandes demeures bourgeoises, de préraphaélisme et d’une étiquette compassée qui est à l’origine de l’exposition itinérante « Fine Dying » proposée par la plateforme indépendante Misschiefs.
Tout commence plus précisément par un poème de 1854 de l’écrivain Coventry Patmore, dédié à son épouse, et intitulé l’« ange de la maison ». Des décennies plus tard, en 1931, la romancière Virginia Woolf déclare qu’elle doit « assassiner » cet ange de la maison, un acte essentiel pour s’émanciper et s’imposer comme femme libre et écrivaine.
Ce meurtre symbolique est le fil rouge du travail de six artistes et désigneuses pour la plupart établies à Stockholm, Maria Pita Guerreiro, Lotta Lampa, Sara Szyber, Isa Andersson, Anna Nordström et ButchXFemme. Elles ont été invitées à travailler ensemble par Misschiefs, une méthode féministe, nomade et pluridisciplinaire créée à Stockholm en 2020 par Paola Bjäringer. Se présentant comme une entrepreneuse culturelle, elle a fondé et dirigé à Paris une galerie inclusive spécialisée dans le design de collection. Avec comme objectif de booster la représentation des artistes femmes et non-binaires et de casser les codes, Misschiefs s’ouvre à différentes expressions artistiques, notamment le design, la littérature, la danse et la mode.
Afin de permettre à ces artistexs et designerxs de travailler, des locaux vides sont investis, et dans cet incubateur, héritier de la scène alternative suédoise des années 1970 et de la Factory de la décennie précédente à New-York, plus de cinquante expositions, performances et événements publics ont été proposés depuis 2020.
Misschiefs voit désormais plus grand. Il occupe depuis quelques mois un espace de 1000 mètres carrés dans un quartier de Stockholm et il s’expose à l’étranger. L’exposition « Fine Dying », dont la commissaire est Paola Bjäringer, a d’abord été montrée à Stockholm puis à Milan avant de s’installer à l’Institut suédois de Paris pour quelques semaines.
Maria Pita Guerreiro, Lotta Lampa, Sara Szyber, Isa Andersson, Anna Nordström et ButchXFemme ont chacune imaginé des créations uniques fabriquées en Suède, inspirées à la fois de la culture populaire et de la culture underground, auxquelles il faut ajouter les créations de la sculptrice française Popline Fichot, également mobilisée sur le projet. Toutes ces pièces sont ensuite disposées sur une grande table d’un dîner de l’époque victorienne. Il y a là les chandeliers de ButchXFemme… ici, les textiles de Anna Nordström… là, les bougies sur pied de Maria Pita Guerreiro qui instaurent une solennité presque religieuse. À priori, il n’y a plus qu’à prendre place et à mettre les pieds sous la table.
Sauf qu’en reprenant l’image de la parfaite maîtresse de maison qui prépare de bons petits plats et dresse le couvert pour les invités selon les codes de l’art raffiné de la table, le fine dining, les sept artistes proposent en fait un souper aussi ubuesque qu’intrigant, mettant en œuvre le souhait de Virgina Woolf de bousculer les conventions et de frapper fort mais avec élégance et humour… Le Fine Dining devient alors Fine Dying.
Ainsi, si les mets sont bien présentés et ont l’air appétissants, les convives de ce dîner digne de la famille Addams commencent à en douter lorsqu’ils voient un couteau au manche en fourrure planté dans une gelée orange so British et un globe oculaire dans une petite salière. Lotta Lampa met des chaînes sur des coquetiers et assemble un tire-bouchon et un décapsuleur en métal qui deviennent une paire de menottes posée dans une assiette. Le plat à gâteau d’Isa Andersson est en fait une lame circulaire tranchante qu’aucune main ne se risquerait d’effleurer tandis que d’autres couverts ressemblent à des tenailles. Les objets en verre de Sara Szyber laissent apparaître des crânes. Et que disent ces lignes écrites par Anna Nordström comme dans un journal intime ?
Par le biais de ce qui ressemble à une cérémonie chamanique, l’image de la housewife soumise à l’oppressante société patriarcale est brisée. L’« ange de la maison », dont le seul nom rappelle les publicités pour produits ménagers dans lesquelles les femmes récurent la cuisine et la salle de bains, est vaincu. Avec ces objets faits main, à la fois bruts et décoratifs, vendus comme objets de collection, les artistexs et designerxs parties prenantes de « Fine Dying » s’interrogent ainsi, avec un certain humour noir, sur les rapports humains dans la société.
Si cette tablée à la fois pop et punk occupe une place importante, « Fine Dying by Misschiefs » ne s’arrête pas là. Deux autres artistes, la suédoise Klara Fahrman et la norvégienne Yngvild Saeter, ont également été invitées par la plateforme pour présenter leur travail. Yngvild Saeter propose The Spirit of Realm, un chandelier noir suspendu et réalisé à partir d’un pare-brise de moto, de piercings, de corne animale et de lampe néon. Klara Fahrman présente une élégante collection de meubles en marbre.
Depuis son ouverture en 1971 dans un hôtel particulier du XVIe siècle, tous les arts sont représentés, en particulier le design. l’Institut suédois accueille également des chercheurs et des artistes. En 2019, dans le cadre du projet Hem x6, les six appartements de résidence sont réinventés par des entreprises de renommée internationale avec comme mission de proposer un design à la fois innovant et ancré en même temps dans la tradition suédoise.
Après « Fine Dying », vous pouvez visiter l’exposition permanente qui retrace en peintures, sculptures, et gravures les liens forts entre la France et la Suède au cours des derniers siècles. Le magnifique jardin offre un moment de détente sous le regard de sculptures datées du siècle dernier. Enfin, pour une étape gourmande, n’oubliez pas de vous rendre au café FIKA avec des spécialités sucrées et salées venues de Suède… Rassurez-vous, aucune ne provient de la table victorienne de « Fine Dying » !
Institut Suédois
11 rue Payenne 75003 Paris
Ouvert du mercredi au dimanche de 12h à 18h