La Fondation Cartier met à l’honneur l’œuvre de cette artiste colombienne représentante du courant Fiber Art. L’écrin que représente ce lieu ouvert sur un jardin, œuvre d’art de l’artiste Lothar Baumgarten, a incité l’architecte de l’exposition, Lina Ghotmeh, à créer une scénographie invitant à une promenade.
Elle a composé un paysage ponctué de pierres d’ardoise qui dialoguent avec les œuvres monumentales d’Olga de Amaral. Suspendues, celles-ci incitent à des moments de méditation et de contemplation, à un voyage, à un cheminement dans une densité de couleurs qui sont soit disposées selon un camaïeu, soit contrastent ensemble. Leurs compositions de différentes matières, de rythmes colorés peuvent faire songer à des paysages naturels où la lumière est très présente. Lina Ghotmeh précise dans un texte que l’artiste a souvent photographié ses œuvres dans la nature. Ses œuvres Muro en rojos (Murs rouges) et Gran muro (Grand mur), réalisées à partir de bandes rectangulaires monochromes, de différentes longueurs et épaisseurs, cousues une à une et de manière irrégulière sur un support de coton peuvent suggérer des murs en briques typiques des constructions colombiennes. On peut aussi y voir des amas de feuilles. Cette première salle provoque en nous une expérience réjouissante, captive notre attention et convie notre imagination à nous projeter dans toutes sortes de milieux naturels. On observe les jeux de tissage, de tressage et de nouage avec curiosité et fascination.
Dans le second espace du rez-de-chaussée, les œuvres de la série Brumas (brumes) se donnent à voir tel un espace aérien où chacune peut être perçue comme une forme nébuleuse. L’air y circule et un mouvement semble être possible. Les jeux d’ombre et de lumière ajoutent à l’aspect vivant de cet ensemble aux couleurs vives et vibrantes. Le phénomène lumineux se prolonge sur les parois de verre et par réflexion sur le jardin de la fondation. Ce qui nous amène à être attirés vers le lointain. En nous déplaçant, l’œuvre se vit différemment et nous pouvons nous laisser porter par le flux de couleurs et ainsi prêter attention à l’espace architectural.
Au sous-sol, les œuvres sont installées de manière à proposer une circulation inspirée du motif de la spirale très présent dans les œuvres de l’artiste. Nous pouvons également avoir un rapport de proximité avec les œuvres, découvrant à la fois l’endroit et l’envers de celles-ci. Les jeux d’ombre et de lumière là encore dessinent un rythme d’obliques au sol. Olga de Amaral a expérimenté un grand nombre de techniques et de matières, nourrie par l’héritage du modernisme et du Bauhaus ainsi que par son expérience de son territoire d’origine. Son approche des matériaux lui permet de créer du volume, des textures plus ou moins épaisses. Elle utilise également la feuille d’or dans certaines de ses pièces textiles, en écho aux autels des églises catholiques baroques de Bogota et à l’orfèvrerie précolombienne. Face à ces œuvres, nous pouvons percevoir une lumière changeante, qui appelle à se recentrer sur ses émotions et à laisser son imagination nous emporter ailleurs. Pour l’artiste, le textile constitue une forme de langage et certaines de ses œuvres portent en elles l’idée de la transcription, du récit, telles Escrito 19 et Memorias 3. L’intérêt de l’artiste pour la nature et son attachement à son territoire d’origine se révèle notamment au travers d’œuvres aux titres évocateurs et dont les couleurs peuvent évoquer des strates, des montagnes, des chutes d’eau.
Un couloir courbe guide vers un espace circulaire où est présentée la série des Estelas. Celles-ci renvoient à des sculptures funéraires et votives des grands sites archéologiques précolombiens. Face à ces œuvres, nous avons comme l’impression de présences qui contiendraient chacune une mémoire, un récit. Cette série invite à s’arrêter, à s’asseoir et à prendre un moment pour déplacer son regard d’une stèle à une autre puis contempler l’ensemble. Une dimension spirituelle émane aussi des œuvres de cette artiste.
Ainsi, cette rétrospective a la particularité de nous engager à vivre une expérience contemplative à la fois des œuvres et du lieu qui les accueille.
Visuels : © Marc Domage