Exposition « M. C. Escher » : justice pour un graveur hollandais à la Monnaie de Paris

Paris, première

Maurits Cornelis Escher n’est pas un nom vraiment connu de toutes et tous ici, et pour cause. Certes, ce n’est pas vraiment sa première exposition à Paris, puisque, dans les années 70, on avait déjà timidement fait montre de quelques-unes de ses œuvres dans une petite exposition de 15 jours donnée à l’institut néerlandais. Qu’à cela ne tienne, du haut de ses presque 200 œuvres, cette escapade a quand même un bon goût d’inédit et de découverte.

Il faut dire aussi que les équipes d’Arthemisia, société qui produit et organise l’exposition en collaboration avec M. C. Escher Foundation et Fever sont rodées. Après Singapour, New York, Madrid, Milan, d’autres, même au Japon, c’est au tour de Paris d’être le centre de leur attention. L’exposition fait un bel anniversaire, elle qui est née il y a dix ans à Rome. Le tout venant aura donc l’occasion d’aller voir, Quai de Conti, le fabuleux travail qu’elles ont fait pour tenter de répondre à cette question toujours ouverte : quelle est la place de Maurits Cornelis Escher dans l’histoire de l’art ? Allez savoir…

Le Hollandais volant

Il préférait qu’on l’appelle de ses initiales : M. C. Escher. Au vu de la relative rudesse de son prénom, il serait de mauvais goût de notre part de feindre de ne pas comprendre pourquoi, lui qui s’appelait Maurits Cornelis comme l’oncle de sa mère, là où d’autres, avec plus de chance, s’en sorte en avec un simple Lucien ou Jean. Né aux Pays-Bas, Escher est un homme qui a énormément voyagé au cours de sa vie, et particulièrement sur toutes les belles terres qui bordent la Méditerranée. Le parcours, pensé par l’historien de l’art Jean Hubert Martin et le collectionneur Federico Giudiceandrea, nous guide à travers ces pérégrinations artistiques, bercées par toutes ses évolutions et expéditions.  Vous avez dit artiste hollandais ?

Le parcours n’est ni vraiment chronologique, ni vraiment thématique, ou plutôt, il est à la fois l’un et l’autre, sans que cela ne soit dérangeant un seul instant. Volatile, en quelque sorte. Nous ouvrons l’exposition par ses débuts, par ses multiples voyages en France, en Espagne, en Italie, puis, dans une suite de salles toujours promptes à révéler quelques surprises pour les visiteurs, les sections et les thèmes s’enchaînent. En commençant par celle dédiée aux pavages du plan et aux fameuses tesselles qui donnent à voir où l’a mené sa fascination pour les décors mauresques.  On y perd un peu la tête, en même temps que se juxtaposent les formes.

Pavages secrets

En 1936, le graveur se rend une seconde fois en Espagne, à Grenade. C’est alors qu’ils tombent sous le charme des motifs ornementaux des bâtiments maures, comme l’Alhambra, entre autres. Ce qui retient son intention, c’est ce pavage, c’est cette manière de subdiviser ou de remplir le plan avec une ou plusieurs figures répétées à l’infini, sans chevauchement ni espace vide. Dès lors, l’utilisation de ses pavages deviendra l’une de ses principales caractéristiques, dans laquelle imagination et géométrie sont parfaitement combinées. Les formes se répètent, se répètent et se modifient, sans jamais se superposer.

De là naît une réflexion sur la transformation d’une forme en une autre. La métamorphose, pour ainsi dire, ou les formes se reproduisent en écho et se modifient petit à petit sur le papier et se transforment dans un jeu de création fractale et symétrique. On y croise Métamorphose II, l’un de ses chefs-d’œuvre, qui compose un chemin cyclique qui commence et se termine par des entrelacements du mot néerlandais “Métamorphose” et dans lequel on peut voir un lézard devenir la cellule d’une ruche ou un poisson qui se transforme en oiseau. Hypnotisant.

On continue, passant d’une salle à l’autre, accompagné par les très heureuses installations ludiques et immersives disposées par les équipes de l’exposition. Certaines sont très réussies, ainsi celle dite de l’installation optique dans laquelle on se prend à jouer avec la perspective et à paraître, à l’aide d’un simple sol en damier, on aime à se faire plus grand que l’on est vraiment. Ainsi, grâce à une installation de miroirs qui répètent notre image à l’infini, après la métamorphose nous arrivons dans une autre partie de l’exposition consacrée au rapport entre l’espace et la géométrie, thématique privilégiée de l’artiste.

Le mystère escher 

Les connaissances mathématiques de M. C. Escher étaient, avant tout, visuelles et intuitives, certes. Ses architectures et compositions présentent des distorsions de perspectives et parfois des problèmes logiques, oui. Mais son intérêt inaltérable pour les mathématiques et la géométrie vont le porter sur des chemins nouveaux. Cela passe par l’étude des sphères, des surfaces réfléchissantes ou topologiques comme dans le Ruban de Möbius II (1963) où l’on voit l’anneau de Möbius : un objet perçu comme ayant deux faces mais qui, en réalité, n’en a qu’une. Au fur et à mesure que l’on avance dans ce gentil dédale, les illusions et les paradoxes nous perdent et nous enivrent.

C’est le cas, avec l’une de ses œuvres les plus célèbres nommée Relativité (1953), où l’on voit des sortes de mannequins monter et descendre dans un enchevêtrement d’escaliers impossible. L’artiste s’est rapproché de la communauté scientifique à partir de 1954, moment où il entame alors un dialogue étroit avec certains mathématiciens et cristallographes, qui s’avère être une source d’inspiration très importante pour ses recherches sur les structures impossibles, les illusions d’optique et la représentation de l’infini. Cette œuvre célèbre, si on peut la qualifier ainsi, a influencé bon nombre d’œuvres, jusqu’à même toucher le grand public, dans les escaliers de Poudlard dans Harry Potter ou même dans la série à succès coréenne Squid Game.

Par ici la Monnaie 

Encore aujourd’hui, au sortir de cette exposition, Maurits Cornelis Escher est un artiste difficile à classer. Sa place dans la production artistique de son temps est encore ou trop singulière ou trop incertaine. Lui qui n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’il mérite, aussi peut-être parce qu’il n’a jamais peint et qu’il s’en est tenu à la gravure sur bois, lui qui transcende les écoles et les catégories, est, pour quelques mois seulement, à Paris. Une rétrospective qui est une étape majeure et une véritable consécration pour son œuvre.

D’autant plus qu’elle se déroule à La Monnaie de Paris, comme un joli clin d’œil. Dans les années 50, M. C. Escher avait travaillé à la conception de billet pour le compte de la Banque centrale néerlandaise. Sa mission consistait à créer le graphisme des coupures de 10, 25, 50 et 100 florins. Les dessins reprennent le langage artistiques de l’artiste, avec des portrait mêlées a des motifs géométriques et des pavages de plans. Mais la commande lui fut retirée parce que ces dessins étaient trop complexes et détaillés pour être sur des billets. Aujourd’hui, peut-être, estime-t-il s’être un peu vengé ?