Jusqu’au 30 mars, la plasticienne Eva Jospin investit la chapelle de Grave, fraîchement rouverte au public, venez contempler quelques cénotaphes, quelques maquettes sombres et intriquées d’une complexité époustouflante. Colonnes glaçantes, piliers infestés de coquillages, chaos de troncs coulés dans le bronze ; plongeons dans la forêt trop noire qui envahit peu à peu les grands volumes de vide du lieu de culte, le font trembler à l’aune de leurs primales et mutiques vibrations.
Sculptrice de renom et chantre de la sculpture contemporaine française, Eva Jospin est de passage à Toulouse pour un mois. Elle emprunte pour les œuvres exposées à l’arte povera son matériau et aux architectes classiques leur fantaisie. Elle recherche à confronter l’architecture du vivant avec celle des hommes, et conçoit des maquettes de tailles variables (dont une colossale) entremêlant les courbes et les rigueurs des lignes dont nous tirons notre sensation de sécurité, celles de la modernité et celles des monuments immortels. Ainsi, les triglyphes romains côtoient des dulses anémiques et tous deux s’épousent dans une ténébreuse et profonde unité ; il en résulte d’étranges espaces liminaux, ni tout à fait rigides ni tout à fait courbes, dernières forteresses à l’abandon à la lisière de bois tapissés d’inconnu. Ces structures s’érigent d’ailleurs dans des matériaux assez proches de la nature qu’ils incarnent, souvent cavées dans le bois ; les quelques-unes présentées à la Grave sont pour plupart sculptées en carton.
Le carton imite la pierre, puis le bronze imite le carton. Le jeu des quelques œuvres exposées dans le dôme sera celui de l’illusionniste ; se jouer des infrastructures familières et de nos habitudes de représentation pour leur rendre un caractère brut et primitif, enfoui avec le temps par des couches successives de sophisticité. Le choix des œuvres exposées est par ailleurs assez pertinent, puisque chacune présente une forme de coupole à son sommet ; cela permet à tous les édifices d’entrer en écho avec celui dans lequel nous déambulons, de seconder son dénuement chrétien d’un caractère foisonnant, celui d’une nature ayant repris des droits sur les biens de l’homme. Un pas vers la finitude des vitraux du grand dôme, peut-être, vers la nôtre assurément. Nous nous trouvons en proie aux mêmes lianes que les édifices, plongés avec eux sous des années d’abandon et d’oubli, livrés à nous-mêmes le temps de les contempler, délaissés aux craquements lointains des empires qui se brisent. La seconde partie de l’exposition met en relation une œuvre conçue spécialement pour le dôme avec certains reliquaires qu’il abrite d’ordinaire ; étrangement, les paperolles, conçues par des mains moins reconnues que celle de l’artiste, fortes de cette cohabitation regagnent en vigueur et redeviennent touchantes de naïve beauté.
Le propre des œuvres exposées sera de jouer sur l’ouverture des structures. Les cathédrales sont percées de nymphées, de cavités diverses ; des éboulements bloquent les issues, des blocs de pierre sauvages dévorent les blocs de taille. Des arceaux laissent pourtant voir au travers, traversent la structure ou plongent le regard dans les ténèbres de ses tréfonds. Outre une évidente lecture psychanalytique que l’on pourrait tracer dans cette entreprise de dévoilement, il est possible d’y voir une invitation à la dissection de l’espace ; que les entrailles d’une église ne soient pas si différentes de celles d’une forêt. Subtil jeu des flèches qui se dévident et des coupoles qui s’emplissent au rythme des œuvres, elles miment peut-être le progrès de nos yeux, qui s’ouvrent et se ferment à mesure que nous pénétrons plus profond, au gré des torrents en carton et des circularités enchâssés. A vous d’y tracer votre sentier !
Le défaut majeur de cette exposition reste le nombre réduit d’œuvres exposées. Cinq en tout et pour tout, et malgré la star du show qui dépasse les trois mètres de haut on aura vite fait le tour. Si d’aventure vous vouliez vous y rendre, nous vous conseillons la visite guidée, complète et, fait assez rare pour être notifiable, intéressante. Venez apprécier ces capprici du mercredi au dimanche, de 11h à 18h (guides à 11h30, 15h et 16h30).
Du 13/12/2024 au 30/03/2025, du mercredi au Dimanche,de 11h00 à 18h00, 9 euros (TR 5 euros)
Visuel : © NR