La galerie Magnum présente cet hiver les photographies documentaires d’Ernest Cole, issues de son témoignage sur la vie sous l’apartheid en Afrique du Sud. Des images aussi esthétiques que puissamment évocatrices.
Alors que la situation politique mondiale actuelle est de plus en plus en tension avec la multiplication des régimes autoritaires et d’extrême-droite, il est bon de se rappeler le pouvoir de l’art et son aspect éminemment politique. Car la culture et la liberté d’expression (ainsi que les droits des femmes) font partie des premières choses à être attaquées et réprimées par les régimes extrémistes, nous nous devons de surveiller et défendre tous les moyens d’expression et de résistance.
La nouvelle exposition de la galerie Magnum dédiée au photographe Sud-Africain Ernest Cole en est la parfaite illustration. Né en 1940 en Afrique du Sud, il arrête tôt l’école à cause des limitations de plus en plus strictes pour l’accès à l’éducation des Noirs et se forme à la photographie en autodidacte très jeune. A 18 ans, il devient assistant photographe pour le magazine Drum et commence à documenter la réalité quotidienne de l’apartheid, tout en développant une conscience politique forte au contact d’autres artistes et penseurs noirs de son époque.
Mais chacune des photos qu’il prend sur le sujet de l’apartheid et des injustices systémiques envers les « non-européens » est une infraction. Il développe des techniques de photographie furtive et réussi à capturer toutes les formes de violences subies au quotidien par la communauté noire d’Afrique du Sud : le travail dans les mines, la pauvreté institutionnalisée, l’impossibilité d’accéder aux soins, les contrôles des pass permanents, les panneaux dans l’espace public, les domestiques… Tout un travail qui le pousse à faire sortir clandestinement ses négatifs du pays pour ensuite lui-même en partir en 1966.
En 1967, à New York, il publie l’unique livre de sa courte carrière, House of bondage, qui formalise ses sept ans de photographie sur l’apartheid accompagné de ses textes-témoignages. Le livre est un succès immédiat, mais lui vaut le bannissement à perpétuité d’Afrique du Sud. Il a été republié en 2022, alors que quelques 60 000 négatifs d’Ernest Cole ont été retrouvés quelques années auparavant dans un coffre de banque en Suède. La courte vie d’Ernest Cole (il meurt en 1990 dans la plus grande pauvreté) est peu documentée, et après avoir disparu dans l’oubli pendant plusieurs décennies, cette redécouverte de son œuvre a amorcé, notamment par Magnum, un travail de remise en lumière de ses photographies.
L’exposition de la galerie Magnum est la seconde partie d’une exposition en trois volets en partenariat avec la galerie Goodman dont la première partie se tenait en novembre à Londres et la dernière sera à Cape Town en février. Ce triptyque a sélectionné dans les 540 clichés vintage rares utilisés pour le livre House of bondage, récemment récupérés par le Ernest Cole Family Trust, des images en noir et blanc à la composition forte et très contrastée. A Paris, on peut également voir une série de photos urbaines prises aux Etats-Unis, dans lesquelles la tension se fait moins présente.
Les photographies sont puissantes et belles, chargées d’une narration unique que des textes d’auteurs contemporains viennent éclairer d’un jour actuel. Ils soulignent que l’apartheid fait toujours partie de l’histoire des familles d’Afrique du Sud et que la situation n’a finalement que peu évolué. Devant la beauté de ces clichés, on aurait tendance à oublier la violence de la réalité qu’ils dépeignent, créant ainsi une légère dissonance cognitive. Car oui, le beau peut raconter l’ignoble, il peut dénoncer et combattre. Oui, l’art peut avoir un rôle politique. Et oui, ma culture est une nécessité sociale.
Vintage prints from the Ernest Cole family trust – Part 2
Du 22 janvier au 29 mars 2025
Magnum Gallery – Paris
Visuels : © Ernest Cole / Magnum Photos