Peut-être, vous souvenez-vous de ses peintures sombres et réalistes, souvent étudiées en cours de philo, de leurs jeux de lumière aperçus dans des émissions télévisées sur l’histoire de l’art. L’œuvre de José de Ribera ne semble exister qu’en flou dans nos esprits, mais le Petit Palais lui redonne ses lettres de noblesse dans une exposition tout en clair-obscur. Violence, laideur, fantastique, c’est la réalité dans sa vérité qui nous est restituée, en hommage à ce peintre caravagesque du XVIIe siècle qui n’a jamais rien caché de la cruauté du monde.
D’emblée, l’exposition insiste sur l’héritage caravagesque de José de Ribera, marqué par le mouvement pictural dès l’âge de 15 ans et ayant fortement contribué à le renouveler. Entre contrastes d’ombre et de lumière, personnages grandeur nature et recours à des modèles pour accentuer le réalisme de ses œuvres, Ribera poursuit en effet les enseignements du maître. Mais l’exposition ne se limite pas à ce seul héritage, qui appauvrit trop souvent le parcours du peintre espagnol. Si l’influence de Caravage est bien présente et visible au fil des tableaux, Ribera s’y montre avant tout dans sa singularité, grâce à des salles thématiques, qui révèlent les obsessions du peintre, et l’originalité de ses modèles.
C’est d’abord le regard restitué de Ribera qui donne à l’exposition toute sa beauté. Avec la volonté sans limites de peindre « d’après nature », pour nous montrer la réalité dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus ordinaire, se rapprochant ainsi du courant naturaliste. Il s’agit de peindre la vérité des visages du XVIIe siècle, avec leurs défauts, leurs rides, leurs laideurs, et de voir l’ordinaire. Ce ne sont pas les rois que José de Ribera a choisi de peindre, mais l’expérience quotidienne de personnages issus du peuple, du mendiant à la femme à barbe en passant par le pied-bot : mettre à l’honneur l’expérience des oubliés, les représenter pour les faire enfin exister.
Et dans ce réalisme propre au caravagisme, José de Ribera s’attache aux plus petits détails, des rides profondes du visage humain, à la crasse que l’on cache sous ses ongles. Il adopte un regard précis sur ses modèles, qui ne peuvent qu’éblouir le regard de son public, impressionné par une telle maîtrise technique. Une attention aux détails que l’exposition cherche par ailleurs à mettre en valeur, en accompagnant l’œil du spectateur par une série d’encadrés, en supplément de la traditionnelle explication en dessous de chaque tableau. Et l’on se surprend bientôt à explorer longuement chaque scène, à la recherche de nouveaux éléments de compréhension des œuvres gigantesques de l’artiste.
La force de l’exposition est de mettre en avant l’évolution de la peinture de Ribera, explicitée par le mouvement de l’exposition. Si les salles restent thématiques et pourraient rendre difficile une lecture chronologique de l’œuvre du peintre, son parcours technique et artistique est en effet rapidement identifiable, dans une salle consacrée aux débuts de l’artiste espagnol, contrastant avec ses obsessions plus tardives. Au fil du temps, le spectateur voit ainsi la lumière s’assombrit, les corps devenir plus fixes et les visages plus durs, rendant son œuvre plus lisible et dès lors plus appréciable. L’expérience de la vie semble assombrir le travail du peintre, dont le regard sur le monde change, de moins en moins doux et prenant de plus en plus sens dans les détails.
L’exposition, plus qu’un simple cheminement à travers les œuvres de Ribera, se démarque aussi par sa sélection de dessins réalisés par le peintre espagnol, qui le révèlent sous un nouveau jour. En plus de la précision technique de ces dessins, et de leur impressionnant réalisme, ils marquent aussi par leur aspect satirique, en lien avec l’actualité Charlie Hebdo : rire du monde n’est pas nouveau, et même les artistes les plus célébrés techniquement et artistiquement l’ont pratiqué, publiquement ou en privé. Une leçon à retenir.