Le Grand Palais propose conjointement, jusqu’au 15 Mars 2026, deux expositions qui se répondent avec force et intelligence : Grottesco d’Eva Jospin, immersion monumentale dans un monde de forêts, de grottes et de matières en métamorphose, et D’un Seul Souffle de Claire Tabouret, rare dévoilement des maquettes des futurs vitraux de Notre-Dame de Paris. Entre obscurité sculptée et lumière en devenir, les deux artistes composent un diptyque inattendu qui explore nos profondeurs autant qu’il cherche notre élévation.
Avec Grottesco, Eva Jospin transforme une galerie du Grand Palais en paysage souterrain où forêts, grottes et architectures imaginaires composent un récit intérieur. Pensée comme une traversée, l’exposition entraîne le visiteur dans une immersion sensible, peuplée d’illusions et de formes hybrides, où chaque pas semble réveiller une histoire enfouie.
Au commencement de Grottesco, il y a cette histoire chuchotée depuis l’Antiquité : celle d’un jeune Romain tombant accidentellement dans une cavité oubliée et découvrant, sous terre, les vestiges d’un palais enseveli — la Domus Aurea de Néron. Fresques, volutes, hybridations : tout un monde souterrain qui donnera naissance au style « grotesque ».
Eva Jospin reprend ce fil ancestral pour tisser son propre récit. Depuis longtemps, ses forêts laissaient deviner qu’elles dissimulaient autre chose. Grottesco prolonge cette intuition : la grotte devient un point de départ narratif vers un paysage mental.

Vue de salle Eva Jospin © Simon Lerat pour le GrandPalaisRmn, Paris, 2025 © Adagp, Paris 2025
Dès son entrée dans l’exposition, le visiteur se retrouve engagé dans un mouvement qui devient narration.
En surplomb, les Chefs-d’œuvre imposent leur présence silencieuse. Puis vient le Cénotaphe, que l’on contourne comme une relique d’un temps oublié. Plus loin, une grotte coiffée d’un dôme évoque un Panthéon imaginaire. Ruines, parois, habitats troglodytes : les espaces s’enchainent comme des chapitres.
Rien ne se donne d’un seul regard. Il faut marcher, tourner, revenir, accepter de se perdre. Grottesco se lit comme un récit spatial, fait de détours et de révélations.
Peu à peu, le regard opère une alchimie. Le carton devient pierre. La pierre se fait végétale. L’architecture se transforme en écosystème. L’univers d’Eva Jospin est un monde où la matière change d’identité, glisse d’un état à l’autre, se réinvente.
Cette plasticité est l’une des signatures de l’artiste. Elle fait écho à ses grandes expositions antérieures — Panorama au Louvre (2016), Palazzo au Palais des Papes d’Avignon (2023), ses installations à l’Orangerie de Versailles ou au Palazzo Fortuny. Déjà, Eva Jospin y construisait des environnements où le regard bascule d’une échelle à l’autre, d’un matériau à l’autre.
Dans Grottesco, l’illusion devient un véritable moteur narratif. Un bas-relief rappelle une forme aperçue plus tôt, un détail se métamorphose, un motif change soudain d’échelle.

Vue de salle Eva Jospin © Simon Lerat pour le GrandPalaisRmn, Paris, 2025 © Adagp, Paris 2025
Au bout de la traversée, une forêt monumentale surgit. Infranchissable, verticale, elle impose un arrêt. C’est le point culminant de l’exposition.
Motif fondateur dans l’œuvre d’Eva Jospin, la forêt devient ici un obstacle, un miroir. Elle oblige à revenir sur ses pas, à relire l’exposition, à confronter son propre regard et sa mémoire, comme une invitation à repenser ce qui a été vu.
En chemin, des broderies sculptées apparaissent : scènes miniatures, délicates, offrant une respiration plus intime. Elles prolongent le récit à une autre échelle, plus proche du geste.
À mesure que l’on progresse, l’exposition crée un espace où chacun projette ses propres images, sa propre histoire. Grottesco n’est pas seulement une exposition : c’est un voyage intérieur.
Dans ce monde souterrain qui ressemble étrangement au nôtre, on comprend une évidence : pour saisir ce que la matière révèle, il faut accepter d’y plonger.
Après les architectures enfouies d’Eva Jospin, le Grand Palais propose un contrepoint saisissant, tourné vers l’élévation, la couleur et la lumière : Claire Tabouret révèle une œuvre encore en devenir. Un passage de l’ombre vers la clarté.

Claire Tabouret vue de salle © Simon Lerat pour le GrandPalaisRmn, Paris, 2025
Avec D’un Seul Souffle, Claire Tabouret dévoile au Grand Palais un moment rare : l’envers d’une création majeure encore en gestation. L’exposition présente les maquettes grandeur nature des futurs vitraux de Notre-Dame de Paris. Une proposition intime, qui invite le visiteur à entrer dans l’atelier, au plus près du geste et de la lumière.
Le Grand Palais ne montre pas ici une œuvre achevée, mais un travail en devenir. C’est ce qui fait la singularité et la force de cette exposition. Claire Tabouret y révèle les maquettes des vitraux destinés aux six baies du bas-côté sud de Notre-Dame.
D’un Seul Souffle ouvre une parenthèse temporelle : l’artiste y cherche, assemble, ajuste, hésite. On découvre un espace où la création n’est pas figée, mais encore en suspension.
Le visiteur pénètre moins dans une salle d’exposition que dans un atelier ouvert. Maquettes à taille réelle, cartons préparatoires, fragments de compositions : tout respire le travail en cours.
La scénographie dévoile les étapes, les corrections, les variations. Le public devient témoin privilégié d’un processus rarement montré à cette échelle.
La charge symbolique du chantier de reconstruction de Notre-Dame est immense. Dans ce contexte, Tabouret inscrit son geste en explorant le thème de la Pentecôte.
Plutôt que de recourir à une imagerie religieuse codifiée, elle adopte une approche sensible, atmosphérique. La Pentecôte devient un mouvement, un souffle partagé. Une manière contemporaine d’habiter un lieu chargé d’histoire et d’en faire un émetteur de lumière.
Pour autant, et malgré les contraintes évidentes d’un tel projet, on regrette ici une liturgie artistique sans réelle audace.
Pour concevoir les vitraux, Claire Tabouret a choisi le monotype, un procédé qui impose de peindre à l’envers sur plexiglas avant d’imprimer l’image sur du papier épais. Ce renversement oblige à anticiper la lumière avant même qu’elle ne traverse l’œuvre.
Avec ses accidents, ses vibrations et ses textures imprévues, le monotype est un outil précieux pour faire ressentir l’énergie qui animera les vitraux une fois qu’ils seront installés dans la cathédrale.
Face aux maquettes, on perçoit une œuvre encore en mouvement. Silhouettes, couleurs, formes : tout semble en suspension.
On y retrouve ce qui caractérise le travail de Tabouret : le corps en devenir, la fluidité du trait, la transparence du geste.
Voir ces maquettes avant les vitraux définitifs, c’est surprendre une œuvre avant son plein élan.
Lorsqu’ils prendront place à Notre-Dame, ces vitraux porteront en eux ce souffle initial — celui que le public du Grand Palais aura eu le privilège de voir avant qu’il ne devienne lumière.
Espérons alors qu’ils montreront alors leur vrai potentiel, et qu’ils sauront faire taire tous nos doutes.
En réunissant Eva Jospin et Claire Tabouret, le Grand Palais propose plus qu’un simple diptyque : une exploration de deux univers contemporains qui, chacun à leur manière, interrogent notre manière d’habiter le monde. Entre matière et lumière, gravité et élévation, ces deux expositions composent une expérience rare qui mettra votre regard au défi.
Visuel : © Simon Lerat pour le GrandPalaisRmn, Paris, 2025 © Adagp, Paris 2025