Le duo d’artistes Elmgreen & Dragset fait un retour remarqué à Paris avec leur fabuleuse exposition L’addition au Musée d’Orsay : une confrontation inédite et transhistorique entre les sculptures classiques de la collection et des représentations contemporaines percutantes.
L’addition est le fruit d’un dialogue entamé il y a plus de trois ans entre les artistes et Christophe Leribault, alors directeur du Petit Palais et aujourd’hui Président du château de Versailles. À son arrivée à la présidence du Musée d’Orsay, l’idée initiale prend forme et devient une invitation concrète. Deux ans de préparation ont été nécessaires aux artistes pour concevoir cette exposition audacieuse.
Le titre de l’exposition reflète toute l’ambition d’Elmgreen & Dragset : perturber l’expérience de visite dans la nef du Musée d’Orsay en y intégrant de nouvelles œuvres. Fidèles à leur marque de fabrique, les artistes créent des installations qui réinventent l’espace architectural. Comme l’explique Nicolas Gausserand, commissaire de l’exposition : « Elmgreen & Dragset subvertissent les espaces publics pour transformer notre perception, rendant le visiteur lui-même héros d’une nouvelle histoire. »
Le défi était de taille : intervenir dans la nef principale, déjà richement chargée en sculptures, nécessitait une approche muséographique innovante. Le concept central ? Ajouter un plateau suspendu au-dessus du sol, créant ainsi un espace d’exposition « au-dessus » des œuvres permanentes. Michael Elmgreen précise : « Nous avons conçu un plateau à mi-hauteur entre la mezzanine et le rez-de-chaussée, où nos sculptures contemporaines flottent, inversées, au-dessus des œuvres du XIXe siècle, non pas pour créer un antagonisme, mais une sorte de flottaison poétique. »
Ce dispositif transforme non seulement l’espace, mais aussi notre regard : « Grâce à ce dialogue, on commence à percevoir l’espace différemment. Vous vous voyez vous-même différemment dans cet espace et redécouvrez les sculptures de la collection sous un angle inédit », ajoute Ingar Dragset. C’est cette réinterprétation des œuvres du Musée d’Orsay qui fait toute la magie de L’addition.
Avec L’addition, Elmgreen & Dragset interrogent également les représentations de la masculinité : « Aujourd’hui, nous avons souvent l’impression que les figures masculines du passé sont toutes des seigneurs de guerre ou des ouvriers fiers, mais ce n’est pas le cas. Depuis l’Antiquité, il existe aussi une imagerie plus douce et poétique de l’identité masculine, que nous souhaitons mettre en lumière », explique Michael Elmgreen.
Ainsi, la plupart des sculptures contemporaines présentées dépeignent de jeunes hommes saisis dans des moments du quotidien moderne. Par exemple, Boy with Drone représente un garçon prêt à faire décoller un drone, faisant écho à L’Anachréon d’Eugène Guillaume, où une figure antique tient une coupe sur laquelle un oiseau est perché.
De la même manière, le David d’Elmgreen & Dragset montre un DJ berlinois, assis par terre, écoutant de la musique avec son casque.
L’humour, comme toujours chez Elmgreen & Dragset, occupe une place centrale dans cette exposition. The Drawing, par exemple, rend hommage aux groupes scolaires qui visitent le musée. Michael Elmgreen raconte avec plaisir : « Nous avons créé une sculpture en lien avec le public. Chaque jour, des enfants visitent le musée et dessinent les œuvres sous l’œil de leurs enseignants ». Placée au pied de Romains de la décadence de Thomas Couture, l’œuvre représente un garçon accroupi, tentant de dessiner la scène devant lui. Une sculpture elle-même inspirée par le tableau L’Atelier du peintre de Gustave Courbet.
Avec This Is How We Play Together, le duo nous fait sourire en montrant un garçon avec un casque de réalité virtuelle, nous invitant aussi à réfléchir à notre rapport à la matérialité et au monde virtuel.
Avec The Choice, un grand plongeoir du haut duquel un jeune garçon hésite à plonger, les artistes nous invitent à revisiter nos souvenirs d’enfance, et à repenser à ces moments clés qui ont forgé notre expérience : « Il y a des moments qui sont très précieux du point de vue existentiel pour le reste de votre vie. Cela peut être juste un petit moment banal de votre enfance. Il n’est pas nécessaire que ce soit un grand événement. Il peut s’agir d’une fraction de seconde, une décision qui vous ouvre un passage. » nous explique Michael Elmgreen.
Mais la pièce la plus poétique se trouve sur la mezzanine, où on découvre qu’une fine couche de neige recouvre la surface de la plateforme construite par Elmgreen & Dragset. Un promeneur solitaire y évolue, évoquant une réinterprétation libre du tableau Schneelandschaft de Cuno Amiet, visible dans la salle 57 du musée.
Certaines expositions marquent les esprits et les institutions de manière indélébile. L’addition fait sans aucun doute partie de celles-ci.
Visuel : Photographie de Andrea Rossetti, 2024 © Elmgreen & Dragset courtesy Musée d’Orsay and Pace gallery