Le musée Jean Jacques Henner propose jusqu’au 28 avril 2025 une exposition consacrée aux 102 élèves féminines du peintre. Elle met en valeur l’engagement pédagogique de Jean Jacques Henner et les œuvres de ces femmes artistes de la fin du 19ᵉ siècle, souvent peu connues aujourd’hui.
1874. En cette année de naissance de l’impressionnisme, l’entrée aux Beaux Arts reste interdite aux femmes. Apparemment pour ne pas les « exposer » aux modèles nus masculins ! Les femmes doivent se contenter des écoles municipales de dessin. Et l’année suivante, la constitution de la 3ème république refuse aux femmes les droits politiques. Mais en 1874, le peintre Jean Jacques Henner ( 1829-1905) fonde, avec son ami Carolus Duran « L’Atelier des Dames », qui accueillera les élèves féminines pendant quinze ans.
Le visiteur du musée rentre dans un hôtel particulier à l’architecture caractéristique des demeures aisées du 19ᵉ siècle. J.J. Henner n’y a jamais vécu mais en 1921 sa nièce, Marie Henner, l’achète à la famille du peintre Guillaume Dubufé pour en faire donation à l’état. Le musée national Jean Jacques Henner va pouvoir ouvrir en 1926. L’exposition se déploie sur les quatre étages reliés par un bel escalier…ou par un ascenseur ! Dans le jardin d’hiver sont présentées les explications chronologiques. Au dernier étage est reconstitué l’atelier de J.J. Henner avec ses meubles, son bureau, sa palette.
Maëva Abillard, la commissaire scientifique, est à l’initiative de cette exposition. Un projet débutant en 2020 qui nécessitera quatre ans de recherches. Certaines sources sont exposées, un croquis et un agenda de J.J. Henner, un reçu de l’atelier. Le visiteur pourra découvrir sur une table tactile les carnets de dessins et les correspondances entre élèves. Des dessins délicats, touchants. Mais les sources restaient limitées. Reconstituer la liste et le parcours artistique des élèves a été laborieux. Elles provenaient de la bourgeoisie aisée, une cinquantaine n’étaient pas françaises, mais quelques modèles féminins comme Juana Romani ont pu se hisser au statut d’étudiantes puis d’artistes. Les motivations de J. J. Henner restent mal connues. Elles pouvaient être lucratives, l’enseignement était payant et le peintre devait soutenir sa famille. Mais nous pouvons aussi lui reconnaître un souci de transmission. Il a cru au talent de ces femmes, il les a aidées dans leur carrière. À une époque de domination masculine sans partage.
Les toiles des élèves et celles du maître sont exposées côte à côte, permettant de les comparer, d’évoquer des filiations. J.J. Henner, fils de paysan alsacien, remporte le grand Prix de Rome en 1858. Peintre célèbre en particulier pour ses portraits, il sera influencé par le symbolisme. L’exposition comporte logiquement beaucoup de portraits mais aussi des peintures religieuses et mythologiques.
Dans le très beau portrait d’Eugénie-Marie Gadiffet-Gaillard dite Germaine Dawis, sont présents les traits marquants de la peinture de J.J. Henner. On y retrouve le flou des contours, le fond sombre, le renoncement aux détails pour aller à l’essentiel. Dans ce tableau sombre, le visage, rehaussé par le rouge des lèvres, paraît lumineux, resplendissant. J.J. Henner n’a jamais oublié son origine alsacienne comme en témoigne son portrait de Madeleine Smith en Alsacienne. Sa robe et sa coiffe noires symbolisent « l’Alsace qui attend », cette Alsace perdue par la France.
Le Portrait de femme en costume vénitien de Juana Romani trône majestueusement au-dessus de la cheminée du salon. Un tableau flamboyant par l’éclat de cette peinture à l’huile sur bois, par la splendeur de la robe, par l’impressionnante chevelure rousse. Le Portrait de Madeleine Smith au chevalet réalisé par une autre élève, Ottilie W. Roederstein nous suggère leur camaraderie. La nymphe à la fleur de Germaine Dawis (1906) est d’une surprenante modernité. Le réel paraît s’effacer dans cette peinture évanescente au profit d’une dimension purement subjective, onirique. Les «Marie Madeleine»étaient un thème de prédilection de J.J. Henner, lui permettant l’étude des corps féminins, de la carnation des jeux de lumière. On pourra leur comparer la Marie Madeleine de Marie Petiet avec son saisissant clair obscur et la posture de la sainte toute en pénitence et dévotion.
Le musée consacre une salle à cette question. Six parcours, six destins sont présentés. Certaines femmes ont abandonné la vie artistique. D’autres ont pu devenir des peintres célèbres à leur époque tout en étant à ce jour peu connues. Certaines sont devenues portraitistes ou enseignantes. Dorothée Tennant s’est consacré à l’illustration de livres pour enfant.
Le catalogue disponible, résume ces trois années de recherches inédites, une recherche qui est loin d’être close. Espérons que cette exposition soit une première étape dans le retour à la lumière de ces artistes femmes. Alors, oui, le musée J.J. Henner nous raconte une belle histoire, une histoire d’un début d’émancipation féminine.
Elles. Les élèves de Jean Jacques Henner. Jusqu’au 28 avril 2025.
Musée Jean Jacques Henner, 43 Avenue de Villiers, Paris 17ème.
Visuel(c) : Germaine Dawis, Nymphe à la fleur, Mulhouse Musée des Beaux Arts.