L’exposition Disco a son catalogue. La première est incontournable, le second est hautement recommandable pour prolonger l’expérience et entrer dans les détails du phénomène.
L’exposition disco de la Philharmonie était très attendue, car elle permet de se replonger dans un mouvement aussi musical que politique. Dans l’introduction du catalogue, Olivier Mantei et Marie-Pauline Martin disent : « L’exposition rappelle aussi que l’esthétique flamboyante de ce mouvement est un acte politique en soi. Le disco émerge au croisement de différentes luttes pour les droits civiques, et porte explicitement le combat des minorités africaines- américaines, des communautés LGBTQ+, comme des mouvements féministes, tous réunis dans un même élan hédoniste. (…) célébrer le jubilé de la Philharmonie à l’aune du disco, c’est inviter à la fête, mais surtout à la mémoire d’un combat pour la justice et l’égalité, où la piste de danse était, et demeure encore, un espace d’utopie et de révolution »
La force de l’exposition, c’est déjà de revenir sur les fondamentaux du phénomène, forme de revanche musicale des parias de la société américaine, de rappeler ses racines africaines américaines, l’importance des « discothèques » parfois improvisées, des DJ qui s’en saisissent, des labels qui portent les tubes et du public black, homosexuel ou hétérosexuel, latino, etc. qui s’en empare.
C’est la période où un certain David Mancuso ouvre son loft au 647 Broadway qui devient club underground, ; Mancuso n’hésitait pas à se revendiquer de la contre-culture à rebours de la politique du pouvoir, du foyer bourgeois et de l’éthique protestante du travail ; lors des partys du Loft, l’esprit hédoniste était roi et le DJ jouait en symbiose avec les danseurs.
Pour les passionnés du sujet, le catalogue (divisé en quatre chapitres : « Lets Groove », « I am what I am », « Night fever » et « Celebration ») prolonge l’exposition de manière très documentée s’attardant plus sur la naissance du disco dans une époque est encore marquée par le racisme, la fin de la guerre du Vietnam, les assassinats de Martin Luther King, de Malcolm X et des Kennedy.
Des articles sont consacrés aux stars (masculines) du Disco (Kenny Gamble et Leon Huff, Nile Rodgers, Giorgio Moroder, Jacques Morali, Patrick Adams), mais montrent que, pendant que les labels sont tenus par des hommes, des femmes noires deviennent Disco queen : Gloria Gaynor avec « Never can say goodbye », Thelma Houston, Diana Ross, Donna Summer, Chaka Khan, Grace Jones, Patti LaBelle…
Avec « I will survive », « Lady Marmelade », « I feel love », « I am what I am », elles portent tantôt un discours féministe axée sur la liberté des femmes à disposer de leur corps et à afficher leur sexualité, tantôt soutiennent un discours queer et incarnent des modèles pour la communauté gay. Avant d’être interprétée par Gloria Gaynor, « I am what I am » ne fut-il pas la chanson phare de la comédie musicale La cage aux folles écrite par Harvey Fierstein et Jerry Herman ?
L’ouvrage apporte de nombreuses plus-values par rapport à l’exposition, notamment les interviews de David Mancuso, de Nicky Siano, DJ et créateur du club The Gallery, de Tom Moulton, le créateur du « mix disco », ou encore de Dimitri From Paris (dont on trouve la playlist à la fin du livre). Il fait des arrêts sur image et son sur le groupe Chic, sur Donna Summer et son titre explosif « Love to love you baby », sur Giorgio Moroder, un « pape du disco » qui a aussi bien écrit « Flashdance » que les BO des films Midnight Express, American Gigolo ou Scarface.
La disco française, quasi absente de l’exposition (hormis l’habit de Sheila conçu pour « Spacer »), y est aussi abordée, de même que le parcours d’hommes comme Jacques Morali, Slim Pezin ou Raymond Donnez qui ont écrit ou produit les disques de The Ritchie Family, les Village people, Cher, Eartha Kitt, mais également de Patrick Juvet, Dalida, Claude François, Cerrone.
Le catalogue explore la dimension du disco comme vecteur des luttes des minorités, raciales ou autres, tels que les évènements de Stonewall pour la communauté gay. C’est l’occasion de se rappeler que de nombreux titres comportent des paroles queer, et l’article sur les Continental Baths montre que la sexualité vécue librement dans les saunas gay est accompagnée aux platines par les plus grands DJ. C’est aussi le moment où émerge Fire Island, un havre de tolérance et un lieu de fêtes extravagantes à quelques pas de New York.
C’est aussi une opportunité pour s’attarder sur les nombreuses incarnations fluid gender, comme Divine, ou Sylvester qui se revendique queen noire, mais aussi de voir que le mouvement se prolonge aujourd’hui avec ses drag-queens photographiées par Prisca Lobjoy.
Le catalogue est aussi un bon moyen pour pénétrer dans les lieux mythiques que furent The Saint, le Studio 54, le Paradise Garage à New York et Le Palace parisien, où de se rappeler que le design, la mode des danses comme le voguing ou des films fondateurs comme Paris Is Burning ou Saturday night fever faisaient partie du paysage disco.
Enfin l’exposition comme le catalogue se terminent sur le mouvement réactionnaire, cette « panique morale » que fut la cérémonie de la Disco Demolition Night, avec son autodafé de disques, et bien sûr sur l’arrivée du SIDA qui va décimer la population gay.
Soulignons que le catalogue est garni des très belles photos de Michael Abramson ou de Kwame Brathwaite, de Peter Hujar, de Meryl Meisler, de Hasse Persson et de bien d’autres…
Bref, visiter et compléter par la lecture, voilà de quoi se replonger dans les années disco et avoir envie de danser sensuellement sur « I feel love »…
Visuels : © Pacifico Silano, © Meryl Meisler/Courtesy Polka, © Hasse Persson, © Prisca Lobjoy.