Des animaux fantastiques et où les trouver (au Louvre-Lens)

par Laetitia Larralde
28.09.2023

Cet hiver, le Louvre-Lens se peuple de créatures étranges, merveilleuses et effrayantes et remonte aux origines des dragons, griffons, sphinx et autres licornes. Un voyage fantastique entre mythes et fantasy.

L’imaginaire contemporain est rempli d’animaux fantastiques : Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, Game of thrones, La Belle au bois dormant, Le Voyage de Chihiro, Narnia, Donjons et dragons… La liste des œuvres dans lesquelles ils apparaissent est longue. Pourquoi, dans notre monde moderne et technologique, sont-ils encore aussi présents ? En remontant à leurs origines lointaines, l’exposition du Louvre-Lens nous propose de comprendre leur signification actuelle au gré d’un parcours riche de près de 250 œuvres.

L’animal fantastique est une créature hybride, qui cumule souvent les caractéristiques de plusieurs animaux, voire des traits humains, souvent gigantesques et dotés de pouvoirs surnaturels. Ses premières apparitions se trouvent en Mésopotamie, en Iran et en Égypte antique. Dragons et griffons, aux côtés d’autres hybrides parfois oubliés, assument un rôle ambigu, où ils sont à la fois protecteurs et destructeurs. Ils symbolisent la nature, qui parfois provoque un chaos que l’humain ne peut contenir et reste pourtant la source de tout ce dont il a besoin pour sa survie. Ces animaux incarnent la terreur et le respect mêlés des humains vis-à-vis des forces de la nature qu’ils ne savent pas encore expliquer.

Sur les vases grecs, les bas-reliefs turcs, les parchemins anglais ou les terres cuites chinoises, les animaux fantastiques ont le don d’ubiquité : on les retrouve simultanément dans différentes civilisations, apparaissant aux quatre coins du monde et à toutes les époques. Ainsi, le dragon, la plus emblématique de toutes ces créatures, se retrouve sous des formes qui varient selon leur provenance et leur époque, mais reste reconnaissable. Du magnifique Quetzalcoatl, serpent à plumes lové dans la pierre, au serpent à cornes du Bénin, en passant par l’Hydre de Lerne ou Smaug du Hobbit, le dragon relie par les anneaux sans fin de son corps serpentin toutes les civilisations.

En Europe, les animaux fantastiques ont été intégrés aux grands mythes fondateurs, qui prennent une dimension morale avec l’arrivée du christianisme. Les saints et saintes combattent les créatures qui symbolisent dorénavant le Mal, à la place des dieux et héros antiques qui luttaient contre la nature. Ces combats se retrouvent encore aujourd’hui dans les mythes populaires, comme celui du Graoully de Metz, de la Grand’Goule de Poitiers ou encore la Tarasque de Tarascon. Ainsi, au fil du temps, les animaux fantastiques se transforment et s’adaptent aux peurs et croyances de l’époque, aident ou menacent, jusqu’au tournant du siècle des Lumières, où la science et la raison marquent la fin des superstitions.

Si la nature peut alors s’expliquer, pourquoi dragons et licornes continuent à hanter nos imaginaires modernes ? S’ils ne peuplent plus les marges de notre monde physique, ils continuent bel et bien à incarner nos peurs et nos fantasmes, s’étant déplacés dans notre psyché, notre inconscient. Ils personnifient nos pulsions violentes et animales, la peur bourgeoise de la femme fatale tentatrice du XIXe siècle ou encore la peur de la mort dans des guerres de plus en plus dévastatrices. Aujourd’hui, ces créatures hybrides, la licorne en tête, nous permettent de penser des réalités alternatives et de remettre en question les normes et les préjugés, notamment autour des questions sur le genre.

L’exposition Animaux fantastiques allie de manière très fluide les époques, les cultures et les arts pour développer une réflexion à la fois historique, sociologique et pop. Ingres et Paolo Uccello cohabitent avec la programmation musicale de Djubaka, le Pazuzu de Jacques Tardi, Jason et les Argonautes ou le cowboy sur sa licorne rose de Will Cotton et tissent un récit de l’imaginaire fantastique humain à travers les âges. En réintroduisant du merveilleux dans nos vies, même s’il fait peur, nous nous reconnectons, avec une certaine nostalgie, à un temps où l’on expliquait le monde par la magie, loin du matérialisme stérile d’aujourd’hui.

Dans le climat anxiogène actuel, pourquoi ne pas glisser un souffle de fantastique dans notre quotidien ? Si les phénix, griffons et autres sphinx peuvent nous aider à voir le monde autrement, alors enfourchons notre licorne et partons pour une chevauchée fantastique de l’autre côté du miroir !

Visuels : 1 – affiche de l’exposition

2- Saint Georges combattant le dragon, Paolo Uccello – Vers 1140, Tempera sur bois – Institut de France, Musée Jacquemart-André, Paris © RMN-Grand Palais

3- Conversation with Smaug, d’après une aquarelle originale de J. R. R. Tolkien pour The Hobbit, 1937 © The Tolkien Trust 1977 – Carton Delphine Mangeret et Anne Boisseau – Tissage Atelier A2, Aubusson 2022 – Coton (chaîne) ; laine et fils métalliques (trame) H. 322,5 ; l. 249 cm, Aubusson, Cité internationale de la tapisserie © The Tolkien Trust 1977 © Tissage Atelier A2 / Aubusson 2022 © Collection Cité internationale de la tapisserie / Photo Studio Nicolas Roger

4- Grand’Goule, Jean Gargot, 1677 – Bois polychrome H. 57 ; l. 77 ; ép. 185 cm – Collection Musées de la Ville de Poitiers © Musée de Poitiers / Christian Vignaud

5- Roping, Will Cotton, 2019-2020 – Huile sur lin – Courtesy de l’artiste et Templon, Paris-Bruxelles-New York © Will Cotton © ADAGP, Paris 2023