Dans le cadre de la saison anniversaire Normandie Impressionniste, le musée des Beaux-Arts de Rouen met en lumière un peintre à part de la fin du XIXème siècle : James Abbott McNeill Whistler.
Parmi les 150 projets mis en place pour célébrer les 150 ans de l’Impressionnisme, courant officiellement nommé lors de l’exposition de 1874 regroupant l’avant-garde artistique de l’époque, le musée des Beaux-Arts de Rouen nous propose de nous attarder sur la figure du peintre américain Whistler (1834-1903). Si à l’époque les impressionnistes ont secoué le monde de l’art par leur pratique en rupture avec l’académisme et provoqué nombre de scandales, Whistler a affirmé son indépendance au sein même de ces artistes novateurs, en dandy exubérant et querelleur qu’il était.
Mais l’exposition Whistler, l’effet papillon n’est pas une monographie de l’artiste. En effet, le peintre et son œuvre sont utilisés ici pour déboulonner l’image romantique de l’artiste solitaire et mettre au jour les nombreux liens entre les époques, entre les arts ou encore entre les pays du monde. Si Whistler a été oublié après la première guerre mondiale, il a pourtant bénéficié d’une renommée internationale de son vivant, l’Etat français faisant l’acquisition de son tableau Arrangement en gris et noir : Portrait de la mère de l’artiste en 1891. Il semble se situer au centre d’un réseau d’artistes, que les commissaires de l’exposition suivent jusqu’à l’époque moderne en s’appuyant sur la citation de Pierre Schneider : « Si Monet était le père de l’abstraction lyrique, Whistler en était la mère ».
Ainsi, au cours des salles qui traitent de thèmes tels que la personnalité de Whistler, l’attraction pour ses motifs, le japonisme ou encore la disparition de la figure, on se rend compte des multiples sphères d’influence possibles, et de la porosité de la création artistique, quel que soit son domaine d’application. Whistler lui-même faisait preuve d’une certaine synesthésie artistique avec ses références à la musique pour ses tableaux, son amitié et ses collaborations avec Oscar Wilde et Mallarmé, ou son habitude de créer jusqu’aux cadres de ses peintures. Si l’on ajoute des références aux photographes pictorialistes, aux arts décoratifs, aux salons littéraires ou à la sculpture, le décloisonnement des arts est total. Tout en se plaçant dans la continuité de Vélasquez et de l’art japonais, il incarne une sorte de point névralgique duquel rayonnent des connexions artistiques diverses.
Si la peinture de Whistler ne peut pas être réellement appelée impressionniste, elle partage avec ce courant plusieurs caractéristiques, comme le besoin de rendre sur la toile son ressenti plutôt que la réalité, ainsi qu’on le constate dans les très beaux nocturnes qu’il peint d’après ses souvenirs. D’autre part, dans ses recherches picturales, telles que l’importance donnée à la peinture et à la composition plus qu’au sujet, ou sur l’agencement des formes et des couleurs, on trouve les racines de l’abstraction. Pourtant, ces grands portraits en pied de personnages dans leurs toilettes à la mode pourraient sembler classiques au spectateur d’aujourd’hui. Mais sous la surface lisse où disparait la technique se cache un bouillonnement de matière, de glacis, de jus, de superpositions, de grattage ou même de travail au doigt derrière lequel le sujet s’éclipse pour laisser place à l’émotion picturale, comme chez Rothko.
Whistler se tient en équilibre sur les frontières des arts, de la société, de la modernité, joue à les déplacer et à les rendre floues tandis que la plupart aimeraient les ériger en murailles étanches et immuables. Les multiples scandales liés aux impressionnistes en sont la preuve : questionner et changer les règles ne se fait pas sans rencontrer des oppositions, que ce soient les doutes propres de l’artiste ou les rebuffades du public. Mais Whistler a su regrouper autour de lui tout un courant nommé le « whistlérisme », contemporain de l’impressionnisme, mais plus flottant, moins défini. Sa peinture, qui conserve une part de mystère comme ses paysages de brume, et son personnage d’artiste dandy social et indépendant ont su fédérer malgré tout, et continuent aujourd’hui à susciter de l’émotion chez ceux qui se laissent happer par une de ses toiles.
Alors pour ne pas oublier que la modernité n’est pas arrivée uniquement par l’impressionnisme et que l’histoire de l’art ne s’écrit pas que d’un seul trait, redécouvrons Whistler, l’homme qui signait ses toiles d’un papillon.
Whistler, l’effet papillon
Du 24 mai au 22 septembre 2024
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Visuels :
1- Andrée Karpelès, Symphonie en blanc © droits réservés -Musée d’arts de Nantes – Photographie : Cécile Clos
2- Whistler – Peintre américain, Carjat Etienne, vers 1865, Fonds de portraits d’artistes (galerie Guillet) – Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
3-Whistler James Abbott Mac Neil, Arrangement en gris et noir n° 1, ou la mère de l’artiste, 1871 – Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Jean Schormans
4- Florence Peterson assise, Haviland Paul Burty, entre 1909 et 1910 – Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
5- Whistler James Abbott Mac Neil, Variations en violet et vert, 1871 – Paris, musée d’Orsay – Photo ©Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt