Souvent, on représente la migration comme une fuite vers un eldorado, on oublie alors la dimension inhumaine de ces voyages et le courage qu’il faut pour les entreprendre. Cristina de Middel a pris ce parti : mettre en lumière l’héroïsme migratoire, notamment en ce qui concerne la traversée du Mexique.
Dans la version proposée aux Rencontres photographiques d’Arles, Cristina de Middel met en scène un périple ; il commence à Tapachula, à la frontière sud du Mexique avec le Guatemala, et il se termine à Felicity, petite ville californienne qui a la prétention d’être au centre du monde.
Pour l’occasion, l’Église des frères prêcheurs est scindée en deux par un rail de photographies qui crée deux espaces, le Mexique et la terre promise étasunienne, dans lesquels se diffusent des musiques plongeant les visiteurs dans ces univers respectifs. Ainsi, en s’engouffrant sur la gauche, on découvre des images des gangs et du narcotrafic qui font la loi dans les territoires d’Amérique centrale et du sud. On est mis au contact des raisons de cette grande traversée.
Des panneaux, comme des cartes dressées, présentent des photographies comme autant d’icônes associées chacune à une allégorie de cartes de tarot. Les protagonistes en jeu sont annoncés, la partie peut commencer. La force de Cristina de Middel réside dans l’alliance de ces représentations imagées fictives avec un projet de photographie documentaire où elle a réellement côtoyé et été au contact des passeurs et des migrants.
La photographe restitue la violence et la froideur de cette traversée du désert avec beaucoup d’humanité. Chaque année, des milliers d’hommes et de femmes périssent au cours de ce voyage pour rejoindre les États-Unis, plus encore depuis la mise en place de la tolérance zéro sous Donald Trump. Sur table, des photographies font exister ces défunts, souvent anonymes, par la représentation, dans de petits sacs plastiques, de scellés, de leurs effets personnels.
Cristina de Middel transcrit l’omniprésence de la mort et de la farce migratoire macabre avec force et intelligence. Les fonds choisis pour encadrer les photographies, tantôt blancs, tantôt orangés, mettent en avant la paradoxale beauté de l’hostilité aride des déserts ; et en contemplant les prises de vues, on sent déjà le sable nous brûler la plante des pieds. Plus que de nous conduire à Felicity, « centre du monde », la photographe nous embarque au centre de nous-même, de l’atrocité de notre système, du jeu morbide dans lequel on se trouve tous pris à notre manière.
Exposition Voyage au centre à l’Église des frères prêcheurs dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles du 1ᵉʳ juillet au 29 septembre 2024.
Visuel : Cristina De Middel. Une pierre sur le chemin [Una Piedra en el Camino], série Voyage au centre, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Magnum Photos.