Circulation(s) au Centquatre : L’émergence en photographie européenne sous le prisme de la diversité

par Blanche Aloncle
07.04.2025

Circulation(s) le festival de photographie tant attendu du Centquatre revient pour sa 15^e édition avec un focus sur la Lituanie. Cette année, le collectif Fetart, a sélectionné 23 jeunes photographes européens qui exposent leurs œuvres du 5 avril au 1er juin 2025. Devenu le rendez-vous annuel de l’émergence photographique, Circulation(s) présente une nouvelle fois une programmation riche, diversifiée et engagée, oscillant entre célébration et dénonciation.

L’émergence européenne : territoires

Le festival délimite géographiquement son propos : l’Europe. A travers la sélection de jeunes photographes venu.es de 13 pays européens, Circulation(s) tisse des liens entre création artistique et territoires. Explorer un territoire et ses traditions, ses imprévisibilités ou encore ses enjeux politiques et écologiques s’inscrit comme une véritable thématique du festival. Dans des séries photographiques percutantes et des formes innovantes, les artistes s’emparent du monde qui les entoure et en révèlent des imaginaires en mutation.

Ce monde imprévisible, comme les volcans des îles Éoliennes en Sicile, capturés dans le quotidien d’une jeunesse bouillonnante par Giulia Frigieri avec Generazione Vulcano. Métamorphosé, comme la nature de Claudia Fuggetti qui, avec Metamorphosis la ré-imagine dans des couleurs vives et saturées, s’inspirant des théories de David Abram selon lesquelles la crise écologique serait une crise de la perception. Hanté, comme les photographies nocturnes de Tomasz Kawecki dans In Praise of Shadow.

Claudia Fuggetti, Metamorphosis

Tomasz Kawecki, In Praise of Shadow

Ces territoires évoluent sans cesse et leurs populations, architectures, traditions et symboles avec eux. L’identité d’un lieu, chez Manuela Lorente, s’impose par une narration reprise des stéréotypes espagnols, tandis que les symboles forgeant un territoire se transforment ironiquement dans Roadside objects de Lesia Pčhołka. Puisant dans la recherche ethnographique, elle revisite les croix traditionnelles bélarussiennes, rappelant aujourd’hui plus les symboles queer que ceux d’un passé patriarcal.

Lesia Pčhołka, Roadside objects

A travers un focus dédié à la Lituanie cette année, après l’Ukraine en 2024, le festival Circulation(s) invite également quatre artistes lituaniens afin de découvrir la scène photographique de ce pays : Ieva Baltaduonyte, Paulius Petraitis, Agnė Gintalaitė, et Visvaldas Morkevičius. Ces photographes observateurs et acteurs de leur époque en témoignent à travers leur objectif. Par exemple, Paulius Petraitis dénonce l’invisibilisation et la déshumanisation des migrant.es entrant dans le territoire lituanien en pixelisant des images de presses. Agnė Gintalaitė, de son côté, provoque l’étrange au travers le mélange surprenant de l’utilisation l’intelligence artificielle et de l’album photo personnel.

Paulius Petraitis, Enjoy the Now

Une diversité de regards et d’identités

Célébrer les identités et les héritages est un des épicentres de l’exposition. D’abord pour rendre hommage aux générations passées et à ce qu’ils transmettent : une dent en or pour Lucija Rosc, un héritage culinaire pour Sama Beydoun, un album photo pour Emeline Amétis ou encore une forme de construction de l’habitat pour Wendie Zahibo.

Emeline Amétis, peyi manman, au pays des mères

Puis pour garder la trace d’identités puissantes, comme le fait Anouk Durocher dans un sublime portrait amical célébrant la quête d’identité de son ami Bissi. A travers un regard doux, truffé de kitsch et de paillettes, elle coconstruit sa première série photographique avec Bissi grâce à ce lien de confiance, y ajoutant des bribes de journal intime et un poème puissant et revendicateur.

Anouk Durocher, Alter Ego Fantasy

Cette identité se construit, à l’enfance, à l’adolescence et à l’âge adulte, avec les stéréotypes et les symboles avec lesquels on grandit. Tandis qu’Isabella Madrid se réapproprie ironiquement ceux qui lui ont été imposés en tant que femme colombienne comme forme de rébellion et de résistance dans Buena, Bonita y Barata, le duo allemand Jakob Ganslmeier et Ana Zibelnik alarment du tournant extrême que prennent les codes masculinistes sur les réseaux sociaux.

Isabella Madrid, Buena, Bonita y Barata

Le festival s’installe enfin comme un témoin d’une génération qui explore les traumatismes contemporains. De nombreux artistes abordent ainsi les blessures laissées par les conflits, les guerres et les oppressions sociales. Tianyu Wang, par exemple avec sa série Hiding and Seeking, utilise le corps, le collage et le cadrage pour déconstruire le gazing habituel, et réfléchir aux effets du patriarcat dans les environnements familiaux. La série de Cendre Minuit brûle se distingue par son approche visuelle presque abstraite, avec ses références à l’esthétique gothique et à Warhol, exprimant la colère d’un monde injuste et violent.

Tianyu Wang, Hiding and Seeking

Artem Humilevskyi, Roots

Dans une scénographie colorée, géométrique, fidèle au modernisme du Centquatre, les spectateur.ices circulent dans les mondes visuels de ces artistes émergents. Une scène européenne de la photographie contemporaine qui s’installe solidement, comme incontournable et prometteuse.

Visuel : ©Anouk Durocher

Circulation(s) : du 5 avril au 1er juin au Centquatre à Paris.